Kanak : l’art est une parole

Installée sur 700 m², l’exposition Kanak : L’art est une parole, proposée du 15 mars au 15 juin 2014 au centre culturel Tjibaou, reprend la moitié des pièces dévoilées au musée du Quai Branly en fin d’année dernière. Et les présente à sa manière.

Une dichotomie riche d’enseignements

La scénographie, en 3 parties, permet d’admirer ces œuvres exceptionnelles, mais aussi leur contexte. Les temps du collectage, de l’entreposage, de la transmission, voire de la restauration, en disent paradoxalement autant sur le peuple premier des 18^ème et 19^ème siècles que sur les d’Entrecasteaux, Leenhardt et leurs concitoyens européens.  A travers l’histoire de la collecte de ces œuvres, trésors d’un patrimoine kanak dispersé inventorié par Roger Boulay et l’ADCK depuis Melanesia 2000, c’est aussi l’histoire du regard européen sur la Nouvelle-Calédonie que l’on découvre en case Bérétara.

Nos richesses à la maison

Coiffes du 18^ème, couteaux à igname du 19^ème, jupe de femme servant de monnaie d’échange (19^ème), pierres à magie en serpentine, maillets et enclume à tapa, pieux à fouir du 19^ème… sont autant de pièces qui retiennent l’attention d’un public ému devant tant de richesses oubliées, et pour un temps seulement récupérées. Des centaines de musées européens ont été visités, des dizaines ont accepté de prêter les objets kanak collectés au gré de l’histoire et devenus aujourd’hui œuvres d’art et de mémoire rassemblées ici en (petite) partie autour de pièces magistrales du Musée de la Nouvelle-Calédonie, remises elles-aussi en lumière pour un temps.

L’art et la parole

La troisième salle de l’exposition (case Konwi) regroupe les pièces emblématiques de l’exposition parisienne. Elle concentre les objets cultes de la parole des chefs, pour la plupart issus du 19^ème. Des objets ou œuvres d’art devenus rares puisque non conservés au décès du chef, la valeur de l’objet ne tenant qu’à son rapport à l’homme. C’est bien la parole qui accompagne l’objet qui est importante.

Coiffes ouvertes sur le haut pour communiquer avec les esprits et la nature, haches d’ostensoir, têtes de monnaie, herminettes, masques de deuilleurs (étudiés et restaurés grâce à l’imagerie médicale en IRM) aux nez proéminents qui symbolisent la respiration et la vie… Impossible d’être exhaustif, courez-y !

Appliques de porte

Chambranles de taille exceptionnelle en salle Bérétara, pour la plupart trésors enfouis du Musée de la Nouvelle-Calédonie. Chambranles que l’on désignera, désormais, par l’appellation « appliques de porte » pour être décoratives et non structurantes. Une subtilité relevée par cette exposition qui fera date.

Haches « ostensoir »

Collection de 7 haches « ostensoir » en salle Kanaké. Où l’on (re)découvre l’origine de l’appellation de ces haches dites d’ostensoir, baptisées ainsi par les Européens pour leur rappeler le rituel de l’eucharistie à la messe catholique.

L’une des haches de cérémonie présentée, montée en ostensoir à l’archidiocèse de Nouméa pour présenter l’ostie, est rescapée de l’expédition maritime de 1793 à la recherche de La Pérouse.

Monnaies traditionnelles

Deux vitrines rares, celle qui présente une collection de monnaies d’échange coutumières, et l’autre leurs étuis. Fines, ciselées, riches de poils de roussettes, de fibres végétales, de coquillages, ces pièces adoptent des formes singulières : grande case de chefferie, pirogue, etc.

L’icône Ataï

La deuxième salle de L’art est une parole  (case Kasitara) est quelque peu inattendue pour ceux qui chercheraient à retrouver l’exposition parisienne. Dédiée à la figure d’Ataï, nous découvrons, à travers une panoplie d’objets publicitaires et vestimentaires contemporains, une réalité qui devrait attirer l’attention des plus jeunes. Le fameux profil du chef rebelle de l’insurrection de 1878 n’est autre que le dessin fantasmé du journal métropolitain Le Voleur du 4 octobre 1878 repris par des déportés de l’Ile des Pins. La seule image existante du « vrai » Ataï est son masque mortuaire, présenté ici en vis-vis de ses déclinaisons « marketing ».

Par Sophie Vallés /Photos : Fabrice Wenger