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Edwige Antier

Edwige Antier : Pionnière dans la prise en compte des femmes dans les politiques publiques

Si Edwige Antier est née à Toulon et a vécu quelques années au Vietnam actuel (anciennement l’Indochine), elle a grandi en Nouvelle-Calédonie dans les années 1950 – 1960. Fille d’ingénieur, elle est poussée par sa famille à faire des études supérieures. Elle part alors en France étudier la médecine au Centre Hospitalier Universitaire de Paris (Assistance Publique Hôpitaux de Paris).

Elle s’y spécialise en pédiatrie et apprend les différentes branches de ce métier : réanimation des nouveau-nés, étude des maladies auto-immunes, nutrition, neurosciences …

Après avoir obtenu son diplôme, c’est en qualité de pédiatre qu’Edwige Antier revient en Nouvelle-Calédonie en 1972 afin d’exercer sa profession.

Un choix qui lui permet sans doute d’être cohérente avec ses déclarations : elle estime que le choix de la pédiatrie et ses convictions profondes sont reliés à « un maternage « naturel », où l’allaitement, le portage et la prise en compte des besoins essentiels des tout-petits étaient l’évidence ».

De 1972 à 1979, Edwige Antier s’investit pleinement dans sa profession, au sein du milieu médical en Nouvelle-Calédonie, prenant soin des jeunes enfants du Caillou.

Marquée par les combats féministes de son époque, notamment par la personnalité de Simone Veil, elle décide de porter ses idées dans le débat public et de militer pour un système de santé unique pour tous.

Afin d’appuyer son combat par une structure, elle crée un parti politique : « La Fédération Radicale de Nouvelle-Calédonie », inspiré par « Le Parti Radical de France », centriste, porteur des idées de l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing et de ses réformes sociétales favorables au droit des femmes (autorisation de la pilule contraceptive, reconnaissance et amélioration des droits des femmes…).

Lors de la préparation des élections territoriales de 1977, Edwige Antier décide de s’associer à une figure de la vie politique calédonienne, Paul Griscelli (membre de l’Union Calédonienne lorsqu’il en était encore membre). Le 20 juin 1977, ils créent ensemble le parti grâce auquel ils feront campagne : l’Union pour la Renaissance de la Calédonie (URC).

Se revendiquant de tous les combats, promouvant la diversité ethnique et culturelle de ses membres, le parti n’hésite pas à se distinguer en osant positionner en tête de liste une femme (entre-temps mariée) : Edwige Antier-Lagarde, qui présente les combats féministes et sociaux comme son principal cheval de bataille.

Ainsi, parmi les articles de presse lors de la campagne, on peut lire : « ET, EN TÊTE DE LISTE, UNE FEMME, le Dr Edwige Antier-Lagarde, qu’il n’est pas besoin de présenter, car elle est connue pour son énergie et sa droiture. Elle posera pour la première fois les bases d’une politique en faveur de la femme, et, en particulier, la création d’une commission territoriale de la Femme et de la Famille, qui étudiera la contraception, le planning familial, l’aménagement du travail féminin et les problèmes de famille. »

Par exemple elle aborde le problème de l’absentéisme des femmes au travail : « La cause majeure est due aux maladies des enfants. La création d’un service d’aide familiale à domicile est nécessaire. »

D’autres mesures sont défendues, comme la revalorisation des indemnités de garde des enfants du Service social, la scolarisation précoce des enfants de toute ethnie pour favoriser une égalité des chances à accéder aux diplômes, ou encore: une réforme de l’écosystème de santé calédonien, consistant en la restauration de l’Hôpital Gaston-Bourret, la territorialisation de la Clinique de Nouméa, l’instauration d’une plus grande couverture sociale ainsi que l’assainissement de la gestion de la CAFAT.

Bien sûr, ce n’est pas le seul aspect de son programme de campagne et des idées qu’elle défend.

En 1978, en place à l’Assemblée Territoriale depuis 8 mois, interviewée par la France Australe, le journal quotidien de l’époque, elle rappelle plusieurs mesures qu’elle propose pour relancer l’économie, fortement en crise.

Aujourd’hui, on se rappelle des années 70 comme celles qui ont vu les débuts de la lutte indépendantiste et les prémices des événements politiques qui viendront secouer le caillou. Mais, des événements mondiaux vont également secouer notre île à cette époque. En effet, à partir de 1974, le monde connaît une série de chocs pétroliers, qui vont conduire à une inflation et à une grave crise économique. La vie chère ne date pas d’hier…

Parmi les mesures proposées par Edwige Antier, on peut évoquer l’idée d’installer en Nouvelle-Calédonie des usines de production (hors nickel) dans le domaine agricole, comme « des usines de transformation de l’agriculture et de l’élevage, parce qu’on économisera des devises, puisqu’on colportera l’argent au sein du territoire, entre les salaires et la vente de produits qui auront acquis une plus-value. Une route, si elle permet de faire passer des voitures, ne « rapporte » pas après l’investissement. »

Femme de parole portée par ses convictions, Edwige Antier va engager des actions afin de mettre en œuvre certaines mesures qu’elle propose.

Elle fera parfois face à une forte opposition de la part de figures d’autorité masculine, menant parfois à des débats houleux (Le Médecin Général Charpin, Chef de la Santé du Territoire :, mais également Monsieur Champion, Administrateur de la CAFAT :, par exemple) qui témoignent de sa détermination et qui l’animent dans sa volonté de rendre la société meilleure.

Sa collègue, Marie-Paule Serve, élue en même temps, est là pour rappeler les actions entreprises par Edwige Antier au sein de la commission de la santé territoriale qu’elle préside, comme nous l’indique la France Australe lorsqu’elle est interviewée en avril 1978 : « Au plan santé Mme Serve fait « bloc » avec Mme Antier en ce qui concerne la nécessité d’une rénovation du système médical actuel : « Nous devons arriver à la création d’un CHT – Centre Hospitalier Territorial – car notre hôpital est vétuste ». »

Bien que son fort caractère lui attire parfois des adversaires, d’autres témoignent au contraire positivement.

Ainsi, en 1978, un autre conseiller, également président de commission souligne ses compétences dans le domaine de la santé et déclare : « Elle a des idées, elle les défend avec fougue et passion, compétence et dynamisme ».

On note d’ailleurs que c’est lors de sa présidence à la commission de la Santé de l’Assemblée Territoriale qu’est votée la délibération[1] concrétisant la transformation du vieil hôpital militaire en « Centre Hospitalier Territorial Gaston-Bourret », permettant ainsi aux jeunes professionnels de santé calédoniens de revenir exercer leur profession chez eux.

Néanmoins en 1979, après les retournements de la situation politique en Nouvelle-Calédonie (disparition progressive du centrisme et cristallisation autour du débat sur l’indépendance qui amène vers une bipolarité politique « pour ou contre »), sa propre démission de la commission permanente entre-temps en 1978, justement pour désaccord politique, le poste à l’Assemblée Territoriale n’est plus une priorité pour elle.

Surtout, elle a dans sa vie privée un nouveau compagnon qui souhaite faire sa vie en Métropole.

Même en minorité, après avoir perdu le poste de présidente de la commission de la santé, elle continue à faire des propositions pour améliorer la situation de la santé en Nouvelle-Calédonie. Ainsi le 28 mars 1979, elle dépose une motion pour obtenir une actualisation du Code de la santé en Nouvelle-Calédonie, qui n’a pas été mis jour depuis 1948 ! Cette obsolescence amène à des situations ubuesques : des praticiens délivrant des ordonnances conformes aux dernières réglementations métropolitaines, mais de fait illégales sur le territoire calédonien.

[Par ailleurs, en 2023, le droit de la santé calédonien est toujours un patchwork, notamment parce qu’il relève de plusieurs autorités et domaines de compétences. Ainsi le rapport de la Cour territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie indiquait qu’« Il n’existe pas de véritable Code de la Santé en Nouvelle-Calédonie. […] Un travail juridique de codification est nécessaire pour appréhender correctement le droit de la santé sur le territoire. »

Bien qu’elle ne puisse pas revendiquer la paternité/maternité complète de la refonte du système de santé Calédonien des années 1970, de l’intégration de la Clinique de Nouméa au CHT, ainsi que de la nomination du premier directeur civil de l’Hôpital (en 1983, soit 3 ans après le départ d’Edwige Antier), elle s’est retrouvée de façon indéniable à la manœuvre lorsqu’elle présidait la commission de la santé de l’Assemblée territoriale. Elle est parvenue à faire passer certaines mesures d’importance comme la libéralisation de la contraception en Nouvelle-Calédonie la médecine de proximité en tribu, le projet de Camion Médical à Lifou….

Mais ce n’est pas pour autant la fin de son portrait : même aux antipodes de notre Caillou, Edwige Antier a continué sa carrière, à porter hauts et forts ses combats et à lutter bruyamment, au point que les ondes d’impact de ses actions sont parvenues jusqu’en Nouvelle-Calédonie.

Ainsi en 1981, habituée à prendre la parole en public, elle entre en Radio, à la fois chez France Inter et France Info. Elle animera avec Jacques Pradel, une émission radio consacrée à l’enfance, lui permettant de communiquer son expertise de pédiatre au grand public sur de nombreux sujets liés à la femme et à l’enfant

Le duo ne se contente d’ailleurs pas de la radio, occasionnellement, ils proposent des émissions télévisées.

Jacques Pradel avait déjà animé de 1976 à 1978 une émission sur l’éducation avec Françoise Dolto. Françoise Dolto a d’ailleurs signé la préface du livre d’Edwige Antier sorti la même année, « Les mémoires d’un nouveau-né ».

Le journaliste livre son témoignage sur cette époque avec Edwige : « Je ne cherchais pas une Dolto bis. Le courant est tout de suite passé, assure Jacques Pradel. Elle n’était pas langue de bois, très pédagogue, excellente communicante. À l’époque, un médecin qui parlait sans se réfugier dans sa tour d’ivoire, sans demander que vont dire mes pairs ? C’était rare. En cela, c’est l’une des premières expertes dans les médias. J’aimais son côté cash. Je l’avais énervée lors d’une émission sur la péridurale. On n’en fait pas trop ? Elle avait explosé : le droit à la péridurale, c’est aussi important que le droit de vote. Je l’avais fait exprès, elle est excellente lorsqu’elle est en colère. »

Hyperactive et de tous les combats, elle continue d’exercer son activité de pédiatre, entretient ses régulières escapades médiatiques, écrit des ouvrages, et trouve également le temps de faire partie de l’équipe médicale qui accompagne la naissance du deuxième « bébé-éprouvette » français, Alexia, le 25 juin 1982.

À ce sujet, Edwige Antier, elle-même commente : « Sa maman m’envoie encore régulièrement des nouvelles. J’ai beaucoup tremblé de cette responsabilité, reconnaît-elle. Lorsque j’ai vu ce bébé se lover naturellement et chercher le sein de sa mère… Quelle leçon pour ceux qui ont peur de la PMA (NDLR : procréation médicalement assistée) et alimentent les fantasmes ! »

Edwige Antier continuera, pendant 25 ans, jusqu’en 2006, d’officier à Radio France qui devient petit à petit une seconde maison pour elle. Toutes ces années elle militera et fera de la pédagogie pour les causes qui lui sont chères : les bonnes pratiques liées au développement de l’enfant, ainsi que le soin et la considération apportée à la mère et tant d’autres sujets liés à la famille, la femme et l’enfant.

Mais tandis qu’elle est déçue par les hommes qui font l’histoire de sa vie personnelle (après s’être séparée de son premier mari en Nouvelle-Calédonie, son second compagnon, pour qui elle était partie en France, essaie de la convaincre de renoncer à sa vocation, ils se séparent), elle renoue avec une autre passion qu’elle avait bien connu dans le Pacifique : la politique. Ainsi, elle relance sa carrière politique en Métropole à l’orée de l’an 2000.

Proche du centrisme, le gaullisme social du mouvement de Philippe Seguin lui parle, c’est par lui qu’elle repart à l’assaut de nouveaux sièges. Ses filles sont à présent adultes et indépendantes, elle a de nouveau du temps à consacrer pour les débats et les campagnes politiques.

Edwige Antier s’exprime ainsi à ce propos : « Ça m’a passionné, surtout auprès d’un homme comme lui. Pas pour faire carrière, mais parce que la politique, c’est à faire. »

Ainsi, Edwige Antier est élue, de 2001 à 2008, conseillère municipale d’opposition à Paris et première adjointe UMP au maire du VIIIème arrondissement. En 2007, elle se lance dans la bataille pour les législatives qui a lieu cette année-là. Elle est élue suppléante du député UMP Pierre Lellouche avant de devenir députée titulaire en juillet 2009, poste qu’elle occupera jusqu’en 2012 (4ème circonscription de Paris).

Ses convictions et son champ d’expertise n’ayant pas changé, Edwige Antier devient membre à l’Assemblée nationale de la Commission des affaires sociales, et de la Délégation aux droits des femmes, ce qui lui permet de se lancer en croisade pour porter les sujets qui lui tiennent à cœur, liés aux femmes et à l’enfance.

En 2012, après la fin de son mandat de députée, son alignement naturel au centre l’amène à quitter l’UMP qui prend un virage à droite, et à faire partie des fondateurs de l’UDI, le nouveau mouvement centriste en Métropole.

Toutefois, avant de quitter l’Assemblée nationale et cette affiliation UMP, Edwige Antier a utilisé le temps qu’elle avait pour laisser sa marque. Il convient de faire un retour sur la grande mesure qu’elle a laissé à la Métropole et à la Nouvelle-Calédonie : l’interdiction des châtiments corporels sur les enfants, dont la fessée.

C’est en effet le Docteur Edwige Antier, après une épuisante campagne médiatique pour préparer le terrain dès 2009, qui dépose en 2010 à l’Assemblée Nationale une proposition de loi visant à les interdire.

Notons, que cette mesure n’a pas été adoptée sans polémique, certains confrères, comme le pédiatre Aldo Naouri, étant en désaccord complet avec cette mesure craignant d’instaurer une “tutelle permanente” sur les parents, ainsi qu’une législation excessive liée à la vie domestique. Face à cet argument, on peut résumer la pensée d’Edwige Antier, comme à son habitude, avec des propos tranchés et affûtés : « il n’y a de bonnes fessées que pour ceux qui les donnent, pas pour les enfants qui les reçoivent. »

HÉRITAGE

Pour conclure, s’il est difficile d’estimer avec certitude l’impact précis d’Edwige Antier sur le territoire, il est certain qu’elle a permis d’avancer dans la bonne direction :

Pionnière, elle a été l’une des deux premières femmes élues à l’Assemblée Territoriale et la première à voir siégé à la commission permanente, un véritable tour de force, dans une époque de domination politique masculine. En représentante active et engagée, elle a acté l’évolution de l’hôpital militaire en Centre Hospitalier Territorial. Elle a légalisé la contraception en Nouvelle-Calédonie, elle a milité pour de nombreuses mesures et projets dans le but de proposer une médecine pour toutes et tous.

Malgré son épopée à la radio métropolitaine restée inaperçue sur notre île de lumière, son retour en politique à nos antipodes lui aura tout de même permis de pousser ses idées sur l’éducation tant en métropole que sur le territoire : elle nous lègue sa loi sur l’interdiction des châtiments corporels sur les enfants.

Bien qu’Edwige Antier n’est pas parvenue à faire légaliser l’avortement à son époque, elle laisse aux métropolitains et aux calédoniens un héritage riche : combats sociaux, progrès sanitaires, vivre-ensemble, défense de la jeunesse et des femmes…

Ses contributions lui ont valu d’être nommée Chevalier de la Légion d’Honneur et Officier de l’Ordre du Mérite.


Sources : 


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