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Ida Catala

Originaire de Berne en Suisse, rien ne destinait en apparence Ida Stucki à venir s’installer en Nouvelle-Calédonie. Si ce n’est, peut-être, très tôt une forte fibre étudiante, voire scientifique : à une époque où les voyages étudiants ne sont pas si courants, Ida passera plusieurs années en Angleterre pour faire des études au cours des années 1930.

En revanche, dès 1936, son futur mari, René Catala, est déjà passionné par les mers chaudes et l’étude des organismes marins qui y vivent. Cet homme de science, vit à Madagascar depuis plusieurs années et y mène une existence de planteur et d’entomologiste, mais est souvent touché de crises de paludismes. La Nouvelle-Calédonie étant épargnée par le paludisme, il voit là une occasion en or de se défaire de son mal et de pouvoir mener à bien ses études marines. La Seconde guerre mondiale viendra contrarier ce projet : à Paris en 1939, il se retrouve coincé en Métropole au déclenchement de la guerre. Au cours de cette période, Ida Stucki et René Catala se rencontrent et décident de se marier. Ce sera le 1er Août 1946.

Le couple Catala, René en tête en éclaireur, puis Ida Stucki en renfort sont venus fonder en Nouvelle-Calédonie l’Institut Français d’Outre-Mer (IFO), spécialisé dans les études de la riche biologie marine du Caillou avec ses lagons exceptionnels. Rappelons que l’IFO deviendra ensuite l’ORSTOM, puis l’actuel IRD. Le couple Catala marque donc d’une pierre blanche le milieu scientifique en Nouvelle-Calédonie en jetant les bases de la production scientifique Calédonienne institutionnalisée.

C’est en collaboration étroite avec Ida Stucki qu’il étudie 7 années pour le compte de l’IFO l’écologie marine, entre 1947 et 1956. Ces travaux communs les amèneront à penser en profondeur leur future station de biologie, en choisissant de la construire sur le terrain du Rocher à la Voile. Cette station deviendra ensuite l’Aquarium de Nouméa.

Le couple Catala Stucki décide d’entreprendre une tournée de France et d’Europe afin de voir ce qui se fait en termes d’aquarium et utiliser l’expérience de ceux qui les ont précédés. Néanmoins, ils s’aperçurent que leur projet était novateur : ils voulaient faire un aquarium en circuit ouvert, ce qui n’existait tout simplement pas à l’époque.

Pour citer le Tome VI du Mémorial Calédonien qui parle de la grande aventure de l’Aquarium de Nouméa : « De retour à Nouméa, René Catala et son épouse se virent donc contraints d’innover et ce sont eux qui conçurent les plans de leur futur domaine, se contentant d’accepter l’offre généreuse de l’architecte Gabriel Cayrol qui dessina la façade du futur bâtiment ».

Ida Stucki n’hésite pas à faire partie des plongeurs qui récupèrent les premiers spécimens qui vont peupler l’Aquarium. Selon le Mémorial Calédonien on peut lire : « […] Au début les sources d’approvisionnement furent variées. Il y avait l’équipe des plongeurs maisons, dont les Mélanésiens Enoka et Couty, qui avaient travaillé à la construction de l’Aquarium. […] Avec eux plongeait Mme Catala – il avait bien fallu s’y mettre remarque-t-elle avec humour – et quelques amis fidèles qui avaient pour noms Merlet, Rolland, Anglès, etc… »

En fait, elle plongera très souvent, et parfois à des profondeurs importantes. En 1958, par exemple, pour récupérer les coraux type « fluos », (les verts, vers les 30 mètres de profondeurs, et les rouges, à parfois plus de 50 mètres de profondeur), elle fait partie des volontaires.

Au-delà de toute espérance, leur système d’aquarium en circuit ouvert leur permet de pérenniser la survie des espèces dont ils ont la garde… Des quelques mois de survie qu’ils espéraient obtenir au début, ils parviennent à prendre soin pendant plus de 21 ans certaines des espèces qu’ils avaient récupérées dans des bacs !

Bien que ce soit le docteur Catala qui le plus souvent récolte les lauriers (tout en associant toujours son épouse) et qu’il soit difficile de dissocier les avancées qu’ils ont permis de faire, leurs avancées communes permettent de faire évoluer de façon générale la culture et les connaissances scientifiques autour des espèces sous-marines : ils découvrent et mettent en avant les effets de fluorescence des coraux à partir de 1957, et, encouragés par leur ami Haroun Tazieff, le célèbre volcanologue, ils vont lancer le premier voyage en avion de coraux, afin de pouvoir amener des coraux calédoniens vivants dans les aquariums d’Europe en 1959 : c’est l’Opération Corail.

Enfin, ils récupèrent des « fossiles vivants », actuellement un des emblèmes du Caillou, des nautiles, et arrivent à les faire prospérer dans l’Aquarium en 1962, une espèce qu’il est alors impossible d’observer vivante ailleurs dans le monde !

Parmi certains travaux que l’on peut attribuer plus particulièrement à Ida Stucki, on peut évoquer ses études sur les algues calédoniennes, qui sont encore utilisées de façon contemporaine par les chercheurs et chercheuses d’aujourd’hui, notamment par l’héritier de l’IFO, l’IRD, mais aussi à l’international.

On peut également dire que son nom se retrouve dans la littérature scientifique anglo-saxonne, ainsi, c’est le cas avec la découverte en 1949 de la sous-espèce Dunckerocampus Chapmani [1], qui lui a été attribuée par Leonard Peter Schultz, un biologiste du Musée National des Etats-Unis en 1952.

En 2023, dans Oceans under Glass Tank Craft and the Sciences of the Sea, Samantha Muka, professeur assistant à l’Institut de Technologie du New Jersey se pose d’ailleurs la question de la différence de renommée en ces termes :

« Je me réfère à René et Ida en tant que René et Ida Catala-Stucki. Tandis que René publiait sous son nom propre, il insistait sur le fait que sa femme associe son nom au sien après le mariage. Ida était une partenaire intégrale dans le développement du bassin, et a travaillé de façon rapprochée et soutenue avec René pour créer l’Aquarium de Nouméa. Cependant, elle est rarement mentionnée dans son travail, et lorsqu’elle l’est, ce n’est qu’en tant que « ma femme ». Ida n’apparaît pas souvent dans la littérature à propos de l’aquarium [de Nouméa], mais dans une histoire de voyage par Anaïs Nin elle est mentionnée en tant que Dr. Catala Stucki, une « océanographe, scientifique et une plongeuse des profondeurs sous-marines » […] » [2]

Le Docteur René Catala a tout de même décidé de laisser une trace de la contribution scientifique de sa femme, comme il est courant de nommer une espèce par son découvreur, il est parvenu à faire nommer une sous-espèce de Labre (Pour resituer, le Napoléon est une sous-espèce de Labre, le Labre géant) en son honneur, ainsi on peut retrouver dans certains ouvrages scientifiques le Thalassoma Stuckiae (Labre-Oiseau Bigarré).

Bien que le Docteur Catala soit davantage mis en avant que sa femme, la fondation qu’il a créée pour la mise en place de l’Aquarium met bien en avant leurs deux noms : Fondation Catala-Stucki. Une mention omniprésente dans leurs correspondances et leurs communications publiques.

Ainsi parfois leurs deux noms sont mélangés non seulement pour Ida, mais aussi pour René, qui est parfois désigné comme Catala-Stucki. On retrouve aussi dans les interviews de l’époque ses témoignages qui mettent en avant son épouse : « Eh bien ! s’adaptant à tout, Stucki travailla avec moi à établir un rapport massif. C’est alors que je compris quelle intelligence et quel sens de la méthode elle pouvait déployer.

Mais notre idée nous hantait plus que jamais : créer un centre d’études corallienne. Nous n’avions ni argent, ni subsides, ni appuis officiels, rien que notre foi. Nous nous sommes, je puis le dire, privés de tout, pendant sept ans, pour économiser sou à sou et parvenir à bâtir, à trois kilomètres de Nouméa, au bord de la mer et avec nos seuls moyens personnels, le Centre, l’aquarium et notre maison. Stucki a dressé elle-même les plans de la maison et du jardin. D’ailleurs Stucki sait tout faire… même la cuisine ! […] »

L’Opération Corail en 1959, la récupération et la mise en bassin de nautiles vivants en 1962, mais aussi le livre (avec le film du même nom !) « Carnaval sous la mer » en 1964 (film sous-marin en couleur qui montre la diversité de la faune sous-marine en Nouvelle-Calédonie… pour donner du contexte, la télévision arrive sur le Caillou en 1965 !), auront des retentissements mondiaux. La Nouvelle-Calédonie, son lagon, ses espèces marines et son Aquarium à la pointe de la technologie font des émules sur toute la surface du globe.

Au-delà de ces moments forts bien connus, les époux Catala-Stucki ont continué leur veille et leur travail quotidien à l’Aquarium de Nouméa des années durant, jusqu’au début des années 1970. De fait, si c’était bien une passion, une vocation, c’était aussi une voie qui leur imposait d’être les gardiens et médecins de leurs espèces naturelles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Mais quel résultat : les traces de la renommée qu’ils ont fait acquérir à la Nouvelle-Calédonie, à son lagon et à ses espèces marines est visible de bien des façons et montrent qu’ils ont un fait un travail exceptionnel de promoteurs pour l’Archipel Calédonien.

La Presse du monde entier a parlé de l’Aquarium de Nouméa, qui avec ses tuyaux qui amenaient l’eau de mer directement dans les bassins était une première mondiale, mais on trouve aussi dans les archives des Catala accessibles au Service des Archives de la Nouvelle-Calédonie (SANC) (38 J) des correspondances prestigieuses et internationales, par exemple de la part du Club des Explorateurs de New York ou encore de la Société Royale de Zoologie d’Anvers (qui avait accueilli les coraux calédoniens en 1959).

Le succès est au rendez-vous. L’Aquarium, alors l’un des principaux pôles d’attraction touristiques de Nouméa, attire des dizaines de milliers de touristes et arrive à enregistrer plus de 50 000 entrées par an !

Alors qu’ils arpentaient la soixantaine d’année. Ainsi au terme de longues négociations et de turpitudes administratives, les époux Catala parviennent à convaincre la ville de Nouméa d’acheter en viager en 1977 l’ensemble des installations de l’Aquarium.

En termes de reconnaissances, Ida Stucki ne sera pas oubliée : en 1964 elle sera faite Chevalier de l’Ordre du Mérite par Georges Pompidou, alors Premier Ministre. Le couple Catala obtiendra aussi en commun le Prix de l’Institut de France.

Le Docteur Catala s’éteindra ensuite en 1988, alors qu’il avait 87 ans. Madame Catala lui survivra le temps de presque deux décennies, et profitera de sa retraite bien méritée pour voir l’émergence d’un nouveau millénaire et du XXIème siècle.

Alors qu’elle est au crépuscule de sa vie, en 2003, l’Aquarium est devenu trop vétuste, et il est décidé de le détruire afin de laisser place au nouvel « Aquarium des Lagons » inauguré en 2007. Ida Stucki décèdera malheureusement avant à l’âge de 90 ans en avril 2005 et n’aura pas l’opportunité de découvrir le nouvel édifice.

[1] (Plus exactement d’un paratype de cette espèce – aller plus loin nécessiterait de rentrer dans des explications scientifiques qui alourdiraient la présentation, nous invitons les curieux à aller directement consulter la littérature scientifique à ce sujet)

[2] Traduction « Maison » par l’Archivistorien Calédonien


Sources : 



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