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Lina Persan

Lina Persan (1941-2019), Première chauffeuse de Bus de Nouvelle-Calédonie

Née Carolina Bloc, Lina Persan est une personnalité bien connue de la région de Païta. Mariée à Maurice Persan, rouleur pour les usines de Poro et Kouaoua, comme son mari, sa vie sera dédiée à la conduite.

En effet, passionnée de la route, celle-ci en fera à la fois son hobby et son métier. On la retrouve notamment lors de la 7ème édition du Safari Calédonien en 1973, courant aux côtés d’une autre Calédonienne, Dominique Laurent. Le duo de pilotes féminin finira à la 14e place du classement général à Voh. Comme souvent, les aventures du Safari Calédonien sont pleines d’imprévus, et ce jour-là, à 21h, les survivants de l’épreuve qui ont réussi à rester sur route sont arrêtés par le directeur de course pour cause de crise de carburant.

Femme aventureuse et pleine de ressources, Lina Persan l’est également dans sa vie de tous les jours : elle est une des premières si ce n’est la première femme chauffeuse de bus de Nouvelle-Calédonie. Possédant son propre baby-car, du nom de ces bus bleus caractéristiques qui ont sillonné les routes Calédoniennes dans les années 1960 – 1980, Lina Persan effectuait les trajets de Brousse : trajets scolaires, mais aussi transports de particulier, parcourant des heures durant les routes et petits sentiers en terre de la Calédonie encore très rurale de cette époque.

Au cours de l’année 1981, le journaliste Alain Merlhiot des Nouvelles Calédoniennes l’accompagne dans son quotidien, l’occasion pour lui de découvrir avec elle ses aventures de chauffeuse routière pleine de chaleur humaine. Le résumé est évocateur : « Nouméa – Hienghène et retour en bus ; avec Lina Persan, seule femme chauffeuse de brousse du territoire : couvrir chaque jour les 400 kilomètres entre Nouméa et Hienghène, c’est ce que fait actuellement Lina Persan, 40 ans, forte personnalité. Elle est la seule femme à conduire les bus interurbains en Calédonie. Nous avons fait la route avec elle. »

Poursuivant sa description, il donne des informations supplémentaires sur la vie quotidienne de Lina Persan : « Le véritable travail de Lina Persan, c’est le ramassage scolaire dans la région de Païta. […] Actuellement, elle remplace M. Chaballe pour trois mois sur le trajet de la côte Est. Lina n’est pas une novice sur les routes de Calédonie. Née sur le territoire, elle le connaît comme sa poche et ancienne pilote de rallye, elle manie le volant de son Mercedes avec dextérité et un sang-froid exemplaire. Passionnée par la conduite, elle a décidé il y a 6 ans de se lancer dans la profession de chauffeur de bus. »                                                                                                      

À cette occasion, elle livre son témoignage sur son expérience : « Au début, étant une femme, les autres chauffeurs se méfiaient de moi et rares sont ceux qui m’auraient confié leur car. Puis ils m’ont rapidement jugé et accepté au vu de ma conduite et à présent, je suis certainement une des rares à qui l’on fasse entièrement confiance. […] C’est un métier difficile car l’on doit assurer la ligne tous les jours même les week-ends et jours de fête et la vie de famille s’en ressent énormément. Mon mari est sur mine à Kouaoua et j’ai deux grands enfants qui se débrouillent en mon absence, s’étant habitués à ne pas me voir très souvent. Malgré toutes ces contraintes, j’adore ce métier et particulièrement la ligne sur Hienghène. Le paysage est tellement beau à partir de Houaïlou que c’est un plaisir de rouler au milieu de cette végétation si agréable. Par contre, les ramassages scolaires que j’assume tout au long de l’année en dehors des vacances sont plutôt fastidieux et peu rentables. On ne travaille que quelques heures par jour, et le reste du temps, on se tourne les pouces. La brousse, oui c’est bien, on roule beaucoup, on voit du monde et le fait d’être une femme me donne là un avantage certain pour les contacts humains. Les gens s’assoient souvent à mes côtés pour bavarder et l’on me respecte davantage que la plupart des chauffeurs. »

Grâce au témoignage de ce journaliste, on voit bien que Lina a un caractère bien trempé pour affronter les rigueurs des routes de la Brousse Calédonienne des années 1980 : le passage du Col des Roussettes, les routes sinueuses, la « tôle ondulée », le bus qui vibre devant les aspérités de la route, mais aussi la poussière des camions devant le bus roulant au pas dans le col qui s’infiltre dans tous les recoins du bus et aveugle les passagers comme la conductrice, qui, associé aux grandes chaleurs de l’été calédonien rendent le trajet particulièrement éprouvant.

Véritable aventure pour la conductrice comme pour les passagers, ces trajets, qui relèvent de la seule décision du chauffeur, grand maître de son baby-car rencontrent souvent de petits imprévus qui donnent une dimension humaine au trajet, comme en témoigne ce passage : « […] et c’est avec plaisir que les deux clients restant acceptent le verre offert par Lina en contrepartie du léger retard sur l’horaire. Nous retournerons par ailleurs sur nos pas de 2 à 3 kilomètres, pour déposer nos deux touristes qui, ne connaissant pas la région, avaient dépassé leur point de chute. »

« C’est l’avantage des cars privés » m’explique Lina « on n’hésite pas à faire quelques détours pour rendre service. Parfois on embarque des gens qui n’ont pas d’argent et qui généralement nous le disent au départ. Plus tard on les retrouve lors d’un autre voyage et certains nous règlent le précédent. D’autres, par timidité ou insolence, tentent de resquiller alors qu’ils n’ont pas le montant du billet. Dans l’ensemble je n’ai pas de problèmes avec les gens et parfois même j’en prends la nuit qui sont tout surpris de constater que je n’ai pas peur bien qu’étant une femme. C’est vrai je n’ai pas peur, du moment que l’on est gentil avec eux, les gens n’ont pas de raison de vous en vouloir. » 

À quelques kilomètres de Hienghène où nous arriverons vers 16 heures, nous prenons Véronique et ses deux filles qui reviennent des champs et rentrent à la mission située juste après le village. Le lendemain, on redéposera Véronique au même endroit en repartant sur Nouméa. Comme elle n’a pas beaucoup d’argent, elle non plus, elle donne des cocos germés à Lina en guise de paiement. Celle-ci les plantera en arrivant chez elle, et dans l’affaire, tout le monde en sera satisfait. « C’est souvent que l’on fait des arrangements et comme ce sont des braves gens, ils nous en sont reconnaissants dès qu’ils en ont la possibilité. » »

                                                                          

La conclusion de l’article aussi met bien en perspective la vie de Carolina Persan : « Lina débarque ses derniers passagers et retourne chez elle à 50 km de Nouméa, où avant de se reposer, elle lavera le bus pour le lendemain. Les 385 km de Hienghène qui, pour beaucoup représentent un voyage que l’on ne fera qu’occasionnellement, ne seront une fois encore que l’habituel boulot de la journée de cette femme hors du commun qu’est Lina Persan ».

Cette conclusion admirative a raison : Lina Persan est un personnage hors du commun. De fait, Lina Persan a une autre passion qui la rend tout à fait particulière : elle aime le voyage et elle aime en faire profiter les Calédoniens.

Régulièrement, elle fait financer et organise des voyages guidés en Australie où elle conduit en bus les Calédoniens à la découverte du pays des kangourous. Ainsi, un article beaucoup plus succinct des Nouvelles Calédoniennes nous donne un aperçu de ces voyages organisés :

« Cette année encore, sous la conduite de Lina Persan, 24 personnes de tout âge – le plus jeune avait 6 ans et le plus âgé 70 – sont parties à la découverte de la grande ville australienne. Durant neuf jours, un programme complet avait été mis sur pied, allant de la visite de l’Easter Show, jusqu’à un voyage aux montagnes bleues en passant par les visites du zoo et du parc national. Les adultes du groupe ont même pu aller en une journée jusqu’à Canberra où ils ont visité le musée de la guerre et découvert la capitale de l’Australie. Pour beaucoup d’entre eux, ce voyage organisé par UTA et Opératour était leur première sortie à l’extérieur du territoire, et ils en garderont longtemps un merveilleux souvenir. »

Ils ne sont pas les seuls à en garder de beaux souvenirs. Interrogée bien des années après par la presse, en 2009, celle que l’on surnomme « Madame Voyage » revient sur sa carrière de guide de voyage bénévole aux destinations multiples : l’Australie, mais aussi la Nouvelle-Zélande, Bali, la Thaïlande, la Métropole ou encore le reste de l’Europe…

« Ça a commencé au début des années 1970 avec seize femmes de la tribu de Bangou. On avait fait un tour de Calédonie ensemble et elles voulaient voir autre chose. J’ai proposé de les emmener à Sydney pour la foire de Pâques. C’est comme ça que ça a commencé. »

Également interrogée en 2012 par Marina Minocchi de l’Association Témoignage d’un Passé, elle donne un éclairage supplémentaire sur son initiative d’emmener les femmes de Bangou en voyage : « Bangou c’est tout pour moi ! Quand vous avez vécu cinquante ans là. J’ai fait beaucoup pour les femmes de Bangou, je les ai fait sortir à l’époque où les maris ne les laissaient pas sortir. Et puis un jour, j’ai dit « Bon ben on va partir en Australie ». Les Maris « Non, Non, Non ». J’ai dit « On va partir et c’est tout ! » Et c’est comme ça que j’ai emmené quinze femmes indigènes. »

S’arrangeant pour que tout le monde puisse partir et que le voyage soit financé, Lina trouve de l’argent et avance les sommes pour celles qui ne peuvent pas du tout payer. Si elle a commencé par les femmes de Bangou, le bouche à oreille a vite fait son travail et elle a ensuite étendu son initiative : d’abord les femmes de N’Dé, puis du Col avant de passer à celles de Naniouni, et enfin à toute la Nouvelle-Calédonie.

Et de déclarer dans la plus grande des simplicités : « Et c’est comme ça que depuis trente ans je fais des voyages organisés. Les plus gros voyages, c’est 165 personnes d’un seul coup ! Et maintenant, il y a plein de nouvelles têtes sur les photos »                      

Véritable globe-trotter sans repos, ces aventures n’ont pas empêché Lina d’élever quatre enfants et de s’impliquer dans le monde associatif, notamment en organisant des bals à Bangou pour la construction de la chapelle.

Lina Persan aura marqué bien des Calédoniens et des Calédoniennes : elle prenait tout le monde dans son bus et les emmenait partout, que ce soit pour leurs petits trajets du quotidien sur le Caillou ou pour aller découvrir le monde dans des road trips plein de surprises !

Cette ancienne pilote de rallye aura pris sur elle de désenclaver les femmes des tribus, d’abord en commençant par la tribu de Bangou où elle a vécu presque toute sa vie, puis ensuite en étendant son action à tous les Calédoniens qui souhaitaient voyager, le tout bénévolement. De nombreux enfants auront découvert les magnifiques paysages du bush australien ou de destinations aussi variées que Bali ou l’Europe.

On peut dire qu’elle aura incarné le destin commun par la route !

Cette femme au fort caractère ne se sera jamais laissée dicter sa conduite et aura incité de nombreuses femmes à voyager. Une façon pour elle de sortir des carcans et de se libérer de leurs limites du quotidien.  

Pour toutes ses actions, Lina Persan méritait bien d’être mise en avant et qu’on lui rende hommage. Merci à elle d’avoir tant fait pour des générations de Calédoniens !

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