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Lucie Lods

Lucie Lods (1908-1999), Première femme médecin du caillou

Lucie Lods naît à Bourail au tout début du XXème siècle. Issue de l’Union de Gustave Lods, instituteur et d’Amélie Trouillot, elle est la petite dernière d’une fratrie de 5 enfants.

Avec son fort caractère, dès toute petite, elle marque sa forte volonté. Ses nourrices, ainsi que sa mère, ont toutes les difficultés du monde à la canaliser et à s’occuper d’elle. Seul Gustave, son père, un homme imposant tant physiquement que par l’esprit semble avoir assez d’autorité naturelle pour Lucie.
C’est ainsi que dès ses deux ans elle se retrouve à accompagner son père instituteur en classe. Celui-ci la garde sous sa surveillance en la laissant au fond de la classe pour qu’elle se tienne tranquille tout en lui disant de s’occuper.

Lucie n’y manquera pas : s’ennuyant vite, elle finit par écouter les cours de son père et utilise l’environnement de la classe à son avantage. À la grande surprise de la famille, ceux-ci découvrent que dès ses 4 ans, Lucie sait déjà lire !

Interrogée, son arrière petite nièce, qui, à 75 ans d’écart porte le même nom, Lucie Lods nous déclare sur celle qu’elle considère en réalité comme une seconde grand-mère : « Elle avait des facilités c’est évident. Elle était brillante, mais son caractère de cochon la desservait : elle n’a pas été aussi reconnue qu’elle aurait dû l’être. »

Nous n’avons malheureusement que peu d’informations sur l’enfance et la jeunesse de Lucie. Ce qui est certain c’est qu’elle a décidé de pousser les études et qu’elle y a mis toute sa volonté.

A une époque où les femmes n’étaient bien souvent que des femmes au foyer ou des religieuses, même les infirmières ou les institutrices n’étaient pas si nombreuses. Hommes ou femmes, dans les années 1900 à 1940, le niveau d’éducation général s’arrêtait à la fin de l’école primaire, avec le Certificat d’Études Primaires.

Au vu de son âge, Lucie a probablement été au collège à partir de la fin 1919 – début 1920, avant de pousser au lycée et de devenir l’une des rares élues à obtenir alors ce qui était un diplôme très prestigieux : le Baccalauréat, qui signifiait que l’on avait été capable de pousser jusqu’à l’enseignement supérieur.
En 1930 par exemple, dans toute la France, on ne recense que 16 353 bacheliers, alors que le pays compte 40 millions d’habitants et centaines de milliers d’élèves.

Après ce Baccalauréat qu’elle a dû décrocher vers 1925-1926, Lucie a déjà décidé qu’elle ne s’arrêterait pas là : elle souhaite devenir médecin. Pas juste une infirmière, le rôle dévolu aux femmes, qui doivent obéir à ces prestigieux messieurs diplômés et les assister : elle sera leur égal car elle en est capable, elle le sait.

C’est une véritable aventure qui l’attend : on ne devient pas médecin en attendant tranquillement à Bourail ou Nouméa. Non. Il faut partir. Lucie prend donc le bateau au milieu des années 1920 pour faire près de 22 000 kilomètres dans un voyage de plusieurs mois, en direction de la métropole.

Quitte à aller en France pour faire de prestigieuses études de médecine, autant voir les choses en grand : ce sera à la capitale, Paris, que Lucie fera son cursus.

Lucie décide de se tourner vers la vie : au cours de ses 8 années d’études pour décrocher le doctorat, elle se spécialise en gynécologie au sein de la Faculté de Médecine de Paris. Grâce aux diplômes et certifications qui ont pu être conservés jusqu’à aujourd’hui par sa famille, nous savons qu’elle a étudié et validé des spécialités comme la dermatologie et la vénérologie.

Elle termine sa formation au cours de l’année 1936, après avoir obtenu son diplôme de médecin le 14 septembre 1936, elle parachève ses formations au moins jusqu’au 22 décembre 1936, date à laquelle elle obtient la Certification liée à la spécialité « Thérapeutique dermato-vénérologie », délivrée par la clinique des maladies cutanées et syphilitiques de l’Hôpital Saint-Louis (qui fait partie de la Faculté de Médecine de Paris).

Après sa réussite, les voyages étant longs, Lucie ne revient pas immédiatement en Nouvelle-Calédonie. Une photo d’elle avec son amie Andrée Collard en Martinique en 1937 suggère qu’elle a pu vouloir voyager et faire des découvertes sur la route du retour vers le Caillou.

En 1938, c’est chose faite : Lucie est de retour, et maintenant, elle est médecin de plein droit.
Encore une fois, dans les années 1930 même en métropole, il est rarissime pour une femme d’exercer la fonction de médecin : celles-ci sont habituellement dirigées vers des rôles d’infirmières ou de sages-femmes, tandis que le prestigieux rôle de médecin lui, est réservé aux hommes.

De fait, Lucie Lods est, en 1938, la première femme médecin de Nouvelle-Calédonie.

Mais ses aventures locales ne font que commencer : elle exercera en Brousse, là où elle a grandi.

D’abord médecin généraliste à Canala, elle reviendra ensuite exercer dans le village qui l’a vu naître, à Bourail. Pendant 7 ans, entre 1938 et 1945, elle voyagera ainsi en Brousse pour soigner les malades et les blessés lorsque ceux-ci ne peuvent se déplacer.

C’est sans doute dans ces années-là que le Docteur Lods vivra cette aventure que sa petite-fille Lucie Lods a bien voulu nous raconter sur sa grand-mère de cœur :

« Elle avait le caractère bien trempé. Il faut dire aussi qu’elle avait vu des choses. Une fois, avec les autres petites-nièces, nous avons demandé à grand-mère des histoires terribles. Nous n’avons pas été déçues, et même été un peu effrayées :

Je ne suis plus sûre si c’était à l’époque de Canala ou de Bourail, mais Lucie Lods faisait des tournées à cheval à l’époque. Elle est arrivée face à quelqu’un de gravement blessé au bras. Celui-ci était tordu dans une direction qui n’était pas naturelle, l’os fracturé.

Très vite la conclusion s’imposait d’elle-même : il n’y avait pas le choix, il fallait l’amputer, ou bien le malheureux allait mourir.

Elle a alors pris la bouteille de Whisky qu’elle avait avec elle, a fait boire le pauvre homme, a versé l’alcool sur la plaie pour désinfecter et s’est mise directement au travail avec ses outils et la scie à os. Le monsieur s’est évanoui de douleur lorsqu’elle a commencé à attaquer l’os.

C’est alors qu’elle m’a confié « Quand il s’est évanoui, il a arrêté de brailler et de gesticuler, et on a enfin pu travailler en paix ». Sur sa grande tante le Docteur Lods, Lucie rajoute « C’était quelqu’un de pragmatique, clinique, s’il fallait faire quelque chose, elle allait droit au but et le faisait. ».

Elle nous confie également que c’était une super grand-mère avec une autre anecdote bien plus tardive : « À côté de ça, nous, les petits-enfants (petits neveux et petites nièces) quand on arrivait chez la vieille Lucie Lods, elle nous gâtait direct : elle nous accueillait avec des saos et une délicieuse confiture d’abricot »

Mais à la fin de la guerre, Lucie n’est pas encore cette mamie/grande tantine à la retraite : en 1945, après ses aventures en Brousse, le Docteur Lods, en raison de sa formation de gynécologue et de son expérience descend sur Nouméa pour rejoindre la maternité de l’Hôpital Gaston Bourret.
Elle y est nommée Chef de Service. C’est là qu’elle effectuera le gros de sa carrière, à la tête des équipes qui verront naître de nombreux petits Calédoniens.

De cette époque, elle a pu témoigner à ses petites nièces qui lui ont demandé comment c’était : « En général, ça se passait bien, c’était pas si difficile d’accoucher ». Comme d’habitude : factuelle et laconique, le Docteur Lods restait très pragmatique, même à la retraite.

Elle exercera en tant que Chef de Service à la maternité pendant près de 20 ans, jusqu’en 1964, âge ou Lucie Lods prendra sa retraite.

Au cours de ses nombreuses années de service, Lucie Lods aura l’occasion de travailler avec d’autres femmes remarquables du monde médical, ainsi elle travaillera notamment avec Mlle Jorda en médecine scolaire, mais également au service social avec Emma Meyer, future fondatrice de l’association Valentin Hauy, qui a également fait l’objet d’un portrait.

Sans enfants, à sa retraite, le Docteur Lods s’investira beaucoup dans l’éducation de ses neveux, nièces et leurs enfants, en particulier une de ses nièces : la grand-mère de Lucie Lods, deuxième du nom.

Cette dernière nous dit d’ailleurs qu’il lui est arrivé de poser la question à Mamie Lucie Lods sur sa vie privée : elle n’avait pas d’enfants, avait-elle connu quelqu’un ?

Mais pour son arrière-petite nièce comme pour nous, cette question restera un mystère : le Docteur Lods a toujours botté en touche et éludé sur sa vie sentimentale. De son métier comme de sa vie privée ne resteront que du concret : le Docteur Lucie Lods ne s’est pas mariée et n’a pas eu d’enfants.

En revanche, lorsque dans les années 1960 – 1970, sa nièce, partie faire sa vie en métropole, se retrouve dans une situation difficile, le Docteur Lods répond présent : enceinte d’un docteur iranien sans se marier avec lui, elle se retrouve à avoir un enfant hors mariage, ce qui est synonyme de honte dans la société de l’époque.

Lucie Lods n’en a cure, sa nièce, comme son petit-neveu méritent tout son soutien et tout son amour.

Aussi, lorsqu’ils viennent en vacances en Nouvelle-Calédonie en 1970, ils sont très bien accueillis. Cela les mènera à revenir s’installer définitivement sur le Caillou en 1972. Et c’est en grande partie grâce à cette générosité que nous avons autant d’informations sur le Docteur Lucie Lods. Son petit-neveu hors mariage n’est autre que le père de Lucie Lods seconde du nom, qui a généreusement accepté de donner son témoignage sur sa grand-mère de cœur.

Poursuivant sur sa grand-mère, celle-ci déclare :

« Pour résumer, c’était quelqu’un d’avant-gardiste, qui cassait les codes : une femme forte, libre, autonome et cultivée. Elle avait une grande collection de livres et une éternelle soif d’apprendre, tandis qu’elle avait su démontrer une grande tolérance et une grande ouverture d’esprit tout au long de sa vie.

A une époque où les femmes se définissaient par leur mari, elle avait tout fait elle-même :

– les femmes ne font pas d’études ? Elle était devenue docteur.

– les femmes ne conduisent pas ? Elle avait passé le permis

– les femmes ne possédaient pas ? Elle avait acheté elle-même sa maison »

Personnage complet, Lucie Lods était sans concession et n’avait pas peur de faire les choses elle-même, de dire les vérités ou de partir à l’aventure et de voyager.

Malheureusement, c’est au cours d’un de ces voyages qu’elle se fera une blessure dont elle ne se remettra jamais vraiment : au cours d’un voyage en bateau pour la France, elle fait une violente chute qui fait qu’elle se casse une vertèbre, une blessure qui lui laissera des séquelles pour le restant de ses jours.

Ainsi la jeune Lucie Lods nous décrit ainsi Lucie Lods l’ancienne dans ses dernières années :

« Elle était petite, fine, mais le dos recourbé à cause de la blessure. Elle avait toujours une Gauloise à la bouche, c’était une fumeuse invétérée. Elle aimait bien se mettre du talc aussi. J’ai encore le souvenir de l’odeur du talc. »

Elle poursuit : « Elle avait l’air sévère, sinon intimidante : tout le monde en avait peur, parce qu’elle était directe, pragmatique et brute de décoffrage.

Mais dans le fond elle était gentille et très aimante… Elle avait toujours le sens de l’accueil et nous gâtait.
Elle aimait bien aller dans son jardin avec son chat Bokassa. »

Si le docteur Lucie Lods n’a pas eu de descendants directs, son arrière-petite nièce, Lucie Lods garde de très bons souvenirs de celle qu’elle considère comme sa grand-mère, à 75 ans d’écart, elle aimait bien le duo qu’elles formaient « Lucie and Lucie ».

Pionnière dans bien des domaines, première femme Calédonienne à être devenue médecin, Lucie Lods aura aidé bien des calédoniens à se remettre de leurs blessures et en aura aidé de nombreux autres à venir au monde.

Si son fort caractère ne l’aura pas toujours aidé à être appréciée à sa juste valeur, il est aujourd’hui temps de rendre hommage et de mettre en lumière le Docteur Lods, une femme forte, indépendante, qui aura su prendre elle-même son destin en main et se faire une place au milieu des hommes.


Sources : 

  • « 1985 – 2016 – On l’appelait Gaston – Centre Hospitalier Territorial Gaston-Bourret », Jean-Marc Estournes, 2019
  • « Hommes de cœur, une mémoire de la santé calédonienne », Ville de Nouméa, 2007
  • « Morphologie et sociologie des lycées et collèges (1930-1938) », Histoire de l’éducation, Antoine Prost, 2016
  • « Les Grandes Familles Calédoniennes – La Saga Lods », Dimanche Matin, 2000
  • Collection Photo du Musée de la Ville de Nouméa
  • Collection Photo des Archives de la Ville de Nouméa
  • Merci aux équipes du Musée et des Archives de la Ville de Nouméa
  • Documents personnels de la collection de Lucie Lods (descendante)
  • Avec l’aimable participation de Lucie Lods, qui s’est montrée très volontaire pour réaliser le portrait de sa grand-mère de cœur, nous ressortant les vieilles photos de famille et les anecdotes familiales, un grand merci à elle !

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