Marie-Claire Becalossi
Marie-Claire Becalossi (1942-2009), Femmes de Paix et de réseaux de femmes
Marie-Claire Beboco-Homboe est née en 1942. Elle est originaire de la tribu de Petit Couli, dans la région de Sarraméa. Elle recevra une éducation catholique l’encourageant à la tolérance, l’amour de son prochain et la recherche d’une société plus juste et plus égalitaire qui façonnera la suite de son parcours, en particulier dans sa recherche pour améliorer le sort et la reconnaissance des femmes de Nouvelle-Calédonie.
De fait, dès le début de sa vie d’adulte, cet engagement religieux et sociétal se manifestera lorsqu’elle deviendra militante du mouvement Jeunesse Agricole et Rurale Catholique des Femmes (JARCF), avant d’en être élue présidente à partir de l’année 1963, alors qu’elle a à peine 21 ans. Il s’agit d’une organisation conséquente, qui compte alors plus de 3 000 femmes Kanak. Elle occupera cette fonction pendant six années, avant de rendre le poste l’année de son mariage, afin de se consacrer à sa vie familiale.
Parmi ses contributions notables, Marie-Claire Beccalossi a été une des fondatrices du Conseil des Femmes Mélanésiennes de Nouvelle-Calédonie en 1983. Elle a également été à la tête du premier Bureau Technique des Femmes de la Commission du Pacifique Sud, fondé quelques mois avant le Conseil des Femmes.
Interviewée en 2005 dans le Mwa Véé n°48, Christiane Togna, autre grand nom du mouvement des femmes en Nouvelle-Calédonie, revient sur l’aventure du Conseil des femmes :
« Le rôle du Conseil des femmes de Nouvelle-Calédonie, c’est de fédérer toutes les associations à caractère non politique qui concernent les femmes de toutes les ethnies et de coordonner leurs actions.
Au départ, en 1983, il y a eu Marie-Claire Beccalossi. À cette époque, le Conseil des femmes, c’était un peu comme le Souriant Village Mélanésien, mais la structure n’était pas la même. Au début, il concernait toutes les ethnies, ensuite, en 1995, ça a changé et il est devenu le Conseil des femmes mélanésiennes, puis le Conseil des femmes de Nouvelle-Calédonie, dont je suis la présidente depuis l’assemblée générale du 11 décembre 2004, succédant à Denise Kacatr qui est maintenant en place à la Province des Îles. Toutes les ethnies sont aujourd’hui représentées dans le Conseil des femmes. »
Très investie dans sa cause, Marie-Claire aura dédié sa vie à la justice sociale et aux droits des femmes dans la région Pacifique, en particulier pour donner une voix et une représentation aux Femmes Kanak dans leur ensemble. Elle a été présidente de la Fédération des Associations des Femmes Mélanésiennes et déléguée aux droits des femmes en Nouvelle-Calédonie.
À la fin de la période troublée des Évènements et suite aux accords de Matignon de 1988, la Nouvelle-Calédonie entre dans la période de la provincialisation. Après les moments les plus violents de la lutte politique, l’heure est à la réconciliation et c’est dans ce cadre que Marie-Claire Beccalossi, sa présidente, lance la première assemblée générale du Conseil des Femmes, avec pour objectif de reconstruire la paix.
Cette assemblée est incroyable par son ampleur : les plus de 19 associations qui composent la Fédération du Conseil des femmes réunissent plus de 1873 femmes autour de ce pour cet enjeu.
À cette occasion, Marie-Claire Becalossi donne le ton en déclarant :
« Car la paix, c’est aussi l’affaire des femmes. Catholiques, protestantes ou autres. FLNKS, RPCR ou autres, nous n’avons qu’une seule idée : la paix ».
Un discours courageux et fédérateur, dans une Calédonie encore endeuillée et marquée par la violence des années qui ont précédé. C’est aussi un moment fondateur car cette assemblée générale confirme les travaux effectués plus tôt dans l’année pour obtenir une délégation territoriale aux droits des femmes afin de faire le trait d’union entre les associations et les institutions provinciales, également acté par un arrêté du Haut-Commissaire du 11 juillet 1989.
Après avoir piloté en 1989 la constitution de la délégation calédonienne aux droits des femmes auprès du Haut-Commissaire de la République, le 1er Janvier 1990, Marie-Claire Beccalossi est nommée délégué territoriale des droits des femmes. À ce poste, elle charbonnera dur pour améliorer la condition des femmes de Nouvelle-Calédonie, dans la lignée de ce qu’aura pu faire avant elle Wassa Drawilo lorsqu’elle avait été déléguée à la condition féminine à partir de 1979.
Un article de presse des Nouvelles Hebdos en date du 14 décembre 1989, alors que Michèle André, secrétaire d’État (Ministre) chargée des Droits des femmes vient se synchroniser avec Marie-Claire Beccalossi, chargée de mettre en place concrètement les mesures dont elles parlent, montre à quel point les actions prises l’année passée ont été des moments-clés de ce qui est à venir, et le rôle pivot que va jouer Marie-Claire Beccalossi dans ce moment crucial :
« […] D’abord – c’est sa priorité – mettre en place un Centre d’information des Droits de la femme à Nouméa, et en liaison avec les élus. Pour Michèle André, l’information, c’est capital et il faut que les femmes puissent trouver des renseignements sur tout ce qui les concerne directement, tant au plan juridique, législatif que technique.
Il faudra également prendre en considération les particularités du droit coutumier et Michèle André fixe comme autre priorité l’installation de la délégation aux Droits des femmes en Nouvelle-Calédonie, confiée à Marie-Claire Beccalossi. Il faudra aussi créer un Centre de planning familial. Ça n’existe pas en Nouvelle-Calédonie et beaucoup des interlocutrices du ministre ont abordé ce problème. Elle a, quant à elle, évoqué l’I.V.G., la loi l’autorisant n’est pas appliquée sur le territoire. »
Interrogée par le journal le monde en Février 1990, Marie-Claire Beccalossi est parfaitement consciente de l’ampleur de la tâche à accomplir. Le journal restitue leur échange ainsi :
« Mme Beccalossi s’attend en revanche à des difficultés pour mener les actions dans la contraception, l’avortement et toutes les atteintes à la dignité de la femme (violences conjugales, inceste…). Actuellement, faute d’information sur la contraception, les femmes ont recours à l’avortement. Comme celui-ci n’est pas légal, il ne peut se pratiquer dans les hôpitaux. Certaines s’adressent aux faiseuses d’anges, les autres, les plus riches, vont voir un médecin. Comme le code pénal en vigueur ne prévoit pas de poursuites, cela se passe en toute impunité.
Afin de ne pas heurter les esprits, la déléguée a prévu une large consultation des associations féminines sur les objectifs à court terme. Toutes devraient participer à l’organisation de la Journée des femmes le 8 mars. Un centre de planning familial devrait être créé rapidement. Il pourra prendre une part active dans la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles dont le sida. Un centre d’information sur les droits des femmes est également prévu et des chargées de missions vont être bientôt nommées dans chaque province et ile. »
Quelques mois plus tard, directement interviewée par l’Hebdo en août 1990, celle-ci explique :
« Les voyages que j’ai réalisés, les informations que je reçois en permanence du monde et du Pacifique, me montrent que nous ne sommes pas seules à nous battre. Nous recherchons plus d’égalité et de justice. Un grand problème, par exemple : bien des chefs d’entreprises ne souhaitent pas embaucher de femmes mariées en raison d’éventuels congés de maternité.
En Nouvelle-Calédonie, les femmes doivent entrer dans le circuit du développement économique. Ce qu’elles font dans la Province Sud, mais pas dans les autres. La participation des femmes est très importante pour la réussite des Accords de Matignon. Il faut sensibiliser les femmes et les hommes à ce problème.
Les hommes que je rencontre pour mon activité ne sont pas misogynes. La population masculine « au pouvoir », m’accepte très bien : vous pouvez la remercier de ma part ! »
Les années qui suivent voient Marie-Claire Beccalossi confirmer l’essai.
Parmi les projets qu’elle a impulsés, le Centre Information Droit des Femmes et Egalité (CIDFE) de la Province Sud, à l’initiative de ce portrait, est issu de la mission que lui avait confié Michèle André.
Depuis plus de 30 ans, cette structure travaille d’arrache-pied à améliorer la condition de la femme en Nouvelle-Calédonie et à promouvoir l’idéal d’une société plus juste et plus respectueuse, tout en assurant une mission d’information quant aux diverses possibilités qu’ont les femmes, tant sur des problématiques familiales, sociales ou de santé, d’accès à la contraception, à l’avortement ou de dispositifs pour se protéger des violences conjugales et familiales.
Femme engagée, Marie-Claire Beccalossi était également une femme de foi. Très investie dans la vie religieuse, elle a été déléguée de l’archidiocèse de Nouvelle-Calédonie, avant de devenir en 1996 membre de la commission de justice et développement de la conférence des Évêques du Pacifique. Dès les années 1970, elle avait fait preuve de son engagement dans le domaine : militante elle a été nommée par le pape Paul VI membre du conseil pontifical « Justice et Paix ». Pour l’occasion Marie-Claire Beccalossi avait effectué un déplacement au Vatican afin de travailler au sein de cette commission de travail du Saint-Siège.
Son engagement reconnu pour faire évoluer la société calédonienne lui vaudra également d’accéder à la fonction de Vice-présidente du bureau du CESE (Conseil économique et social et environnemental, à l’époque CES) jusqu’en 2004.
Elle avait également été élue présidente de la commission de santé et de la protection sociale, et à ce titre, avait fait un de ses combats de la lutte contre le tabagisme, en s’appliquant à défendre la transposition de la loi Evin en Nouvelle-Calédonie.
Parmi ses actions pour la santé Calédonienne au CES, on peut également mentionner son travail sur le dossier des médicaments génériques (les médicaments génériques sont des médicaments démarqués de qualité équivalente, qui sont produit lorsqu’un brevet médical a expiré, généralement au bout de 20 ans) permettant aux Calédoniens d’accéder à des dépenses de santé moins élevées pour une qualité équivalente.
Une réforme utile tant pour l’équilibre de la sécurité sociale que pour le portefeuille du calédonien moyen !
Organisatrice et femme de foi, Marie-Claire Beccalossi, alors femme de lettres, revient avec fierté sur l’impact de son action à la tête de la Fédération des Associations des Femmes Mélanésiennes en Nouvelle-Calédonie, lorsqu’elle rédige un chapitre pour une publication universitaire sur l’évolution de la condition des femmes en Océanie. En effet, auteure du chapitre « Kanak Women on the Move in Contemporary New Caledonia » (Les femmes Kanak en mouvement dans la Nouvelle-Calédonie contemporaine), elle y écrit :
« The Federation today is highly regarded in the panorama of international NGOs. Thanks to its longevity and extensive presence in the territory, it is recognised by other organisations as well as by the government offices relating to women’s conditions and roles. Besides defending their rights and interests, today’s goal is that of promoting economic, social and cultural exchanges with women from other associations, also beyond New Caledonia: because to build networks implies first of all creating potential alliances.
Pivotal to the FAFM-NC’s resolutions is the search for individual and collective autonomy within the groups that are active in the country and the promotion of forms of development centred on the human being—development that responds to real needs as expressed by the communities living in tribal settlements. Among the government structures responsible for the protection of these principles, today there is a new office: the Observatory for the Condition of Women, to which I belong as representative of the Federation. The main mission of this new body is aimed at the redefinition of Kanak women’s roles within their society, at education and professional training for women. It includes also the elaboration of information and communication strategies for the empowerment of women (through the yearly event of the International Women’s Day and the publication of the Federation’s Nouv’elles), and the drawing up of a Convention on the Elimination of all forms of Discrimination Against Women (CEDAW) in New Caledonia. »
La fédération aujourd’hui est très bien considérée dans le panorama des ONG internationales. Grâce à sa longévité et à sa présence prolongée sur le territoire, elle est reconnue aussi bien par les autres organisations que par les offices gouvernementaux liés au rôle et à la condition des femmes.
Au-delà de la défense de leurs droits et intérêts, l’objectif aujourd’hui est de promouvoir les échanges économiques, sociaux et culturels avec les femmes des autres associations, mais aussi au-delà de la Nouvelle-Calédonie, parce que le fait de construire des réseaux implique d’abord et avant tout de créer des alliances potentielles.
Parmi les résolutions de la FAFM-NC, la clé de voûte est la recherche d’une autonomie individuelle et collective parmi les groupes actifs dans le pays et la promotion de formes de développement centrés sur l’être humain – développement qui répond aux besoin réels exprimés par les communautés vivant en milieu tribal.
Parmi les structures gouvernementales responsables de tels principes, il y a aujourd’hui une nouvelle structure : l’Observatoire de la Condition Féminine, auquel j’appartiens en tant que représentante de la Fédération. La mission principale de cette nouvelle entité vise à la redéfinition des rôles des femmes Kanak au sein de la société et à favoriser l’éducation et la formation professionnelle pour les femmes.
Cela inclut aussi l’élaboration de stratégies d’information et de communication pour permettre l’émancipation et la montée en puissance des femmes (à travers l’évènement annuel de la Journée des femmes et la publication de Nouv’elles, le magazine de la Fédération), ainsi que l’élaboration d’une Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) en Nouvelle-Calédonie. »
Alors gravement malade, Marie-Claire Beccalossi, ne peut se déplacer en Italie à l’Université de Vérone afin de participer aux travaux sur l’Océanie. Elle livre également sa vision de l’avenir tant pour la place des femmes que pour la Nouvelle-Calédonie en général. Consciente de la valeur de la paix, de la réalité du vivre-ensemble et du besoin d’accepter qu’il faut apporter des changements profonds pour faire face aux défis d’un monde globalisé en perpétuelle évolution elle rajoute :
« We are living in an era in which each society must necessarily face up to deep changes, and New Caledonia is certainly no exception. […] Kanak women have demonstrated a remarkable ability to adapt to social changes, often greater than that of Kanak men. Globalisation has drawn them into a tumultuous cross-cultural civilisation, which can enrich them if they take the time to appreciate it, analyse it, understand its potential, and absorb it without losing themselves. With few means but great fortitude, Kanak women are trying to make room for themselves in an ever-increasing number of professional and social sectors, proving their flexibility, pragmatism and resoluteness. One of the best-known examples, in this regard is their employment within the three large nickel plants on the main island.
New Caledonia today is thus the image of its inhabitants, eight different ethnic groups that share and live on the same land. Each feeds on the others’ cultures: food, clothing, languages, places, feasts and so on, but each of them, independently from the others, claims its origins with firmness and dignity. All this is possible thanks to the processes of adaptation that the New Caledonian society has been able to engage in, seizing those valuable chances for growth that integration is always able to offer. Girls in particular have thrown themselves enthusiastically into the training opportunities arising from the new economic system and the development projects within the country.
The women of New Caledonia are thus on the move, they move ahead at great speed, but most of all they hold their heads high. »
Nous vivons dans une ère dans laquelle toutes les sociétés doivent nécessairement faire face à des changements profonds et la Nouvelle-Calédonie n’est certainement pas une exception. […] Les femmes Kanak ont démontré une remarquable capacité d’adaptation aux changement sociaux, souvent bien plus grande que celle des hommes Kanak.
La globalisation les a embarquées dans une tumultueuse civilisation à la croisée de différentes cultures, qui peut leur profiter et les enrichir si elles prennent le temps de l’apprécier, de l’analyser, d’en comprendre le potentiel, et enfin de l’absorber sans se perdre elles-mêmes dans le processus.
Avec peu de moyens mais une grande résilience, les femmes Kanak sont en train de se créer une place pour elles-mêmes dans un nombre toujours plus grand de secteurs professionnels et sociaux, prouvant leur flexibilité, leur pragmatisme et leur résolution. Un des exemples les plus connus à cet égard, est leur taux d’emploi au sein des trois grandes usines de nickel de l’île principale.
La Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui est à l’image de ses habitants, huit différents groupes ethniques qui partagent et vivent sur la même terre. Chacun se nourrit de la culture des autres : nourriture, habits, langues, fêtes et ainsi de suite, mais chacun d’entre eux, indépendamment des autres, revendique ses origines avec aplomb et dignité.
Tout cela est possible grâce au processus d’adaptation que la société néo-calédonienne a été capable d’engager, en saisissant ces précieuses chances pour le développement que l’intégration est toujours capable d’offrir.
Les filles en particulier se sont jetées avec enthousiasme dans les possibilités de s’améliorer, permises par le nouveau système économique et le développement de projets au sein du pays.
Les femmes de Nouvelle-Calédonie sont par conséquent en mouvement, elles vont de l’avant à grande vitesse, mais plus important encore, elles gardent la tête droite ! »
Incroyable organisatrice capable de s’occuper de fédérations de milliers de femmes, voyageuse capable d’aller chercher des soutiens pour l’amélioration du sort des femmes calédoniennes jusqu’au Vatican et à l’ONU, femme de paix œuvrant pour un destin commun où toutes les calédoniennes (et calédoniens) ont leur place dans le respect, mais également visionnaire consciente des enjeux d’un monde globalisé que ne peut ignorer la Nouvelle-Calédonie dans son évolution, Marie-Claire Beccalossi est porteuse d’une vision de construction et de coopération : l’émancipation des femmes est positive pour la société et passe par l’évolution de son rôle, qui doit la voir continuer à accéder à plus de reconnaissance et d’égalité dans les mondes économiques, politiques et coutumiers.
Paix, construction, respect, formation professionnelle, croissance économique, foi, vivre-ensemble : autant de concepts que Marie-Claire Beccalossi a su rassembler à l’amélioration du sort des femmes Kanak et des femmes Calédoniennes en général.
Décédée le 28 mars 2009 des suites d’une longue maladie, elle repose selon ses souhaits dans une forêt proche de son village natal, dans la région du Petit Couli.
Celle-ci méritait bien un hommage !
Laissons le dernier mot à Marie-Claire Beccalossi dans son article « Kanak Women on the Move in Contemporary New Caledonia », publié par l’ANU (L’Université Nationale Australienne) :
« Les femmes ont une place importante à prendre (dans la société), elles sont une richesse dans l’évolution du pays. »