Renée Reuter
Qui aurait pu prédire que le destin de Renée Reuigall, née à Perpignan le 17 janvier 1931 la mènerait en Nouvelle-Calédonie ? Fille de notable, celle-ci se montre brillante dans les études et obtient son baccalauréat à 17 ans, avant d’entamer des études de droit à la faculté de Montpellier, qui la mèneront à obtenir sa maîtrise de droit à l’âge de 22 ans.
Ayant trouvé là sa vocation, la future Madame Renée Reuter décide de poursuivre dans sa voie, et enchaîne après sa maîtrise l’examen du CAPA, qu’elle obtient à 23 ans, avant d’effectuer un stage obligatoire de 3 ans auprès du parquet de Montpellier.
C’est en réalité ici, dans cette ville et au milieu de ses études de droit que le destin va venir la ramener dans l’histoire de notre Caillou. En effet, au même moment, au milieu des années 1950, Robert Reuter, né en 1929 et issu d’une famille calédonienne bien connue, a lui aussi pour passion le droit. Il a fait le même choix d’études et de faculté.
Renée Reuigall accepte de devenir Renée Reuter et de partir au bout du monde pour y poursuivre sa carrière, avec son mari. Elle a alors dans l’idée de faire carrière dans la magistrature, et commence à fournir de sérieux efforts en ce sens : en même temps qu’elle effectue son stage auprès du parquet de Montpellier, elle prépare parallèlement le concours de la magistrature, ce qui n’est pas sans difficultés.
Mais elle va devoir faire un choix. Une concession est inévitable, car elle est une femme sur le départ pour l’Outre-mer. Et à cette époque, en Outre-mer et donc en Nouvelle-Calédonie, les postes de magistrats ne sont pas ouverts aux femmes.
Qu’importe, elle est très compétente dans son domaine et a une large polyvalence autour du droit. Si elle ne peut pas être magistrate, alors elle sera avocate. Ainsi, nos deux tourtereaux Renée et Robert arrivent en Nouvelle-Calédonie à la fin 1957 et le couple Reuter ouvre ensemble son cabinet d’avocat en 1958.
Renée Reuter devient alors la première femme avocate de la Nouvelle-Calédonie. Cette nouveauté détonne dans une fin des années 1950 qui n’a pas encore connu les révolutions libertaires des années 1960 – 1970. Au début sous le feu des projecteurs et surtout de ses collègues masculins du barreau qui sont choqués par la présence d’une femme parmi leurs rangs, les doutes se calment assez rapidement, en à peine 2 années.
Il faut dire aussi que Renée Reuter a deux atouts dans sa manche : le premier, c’est qu’elle n’a pas ouvert son cabinet toute seule et qu’elle est l’associée de son mari Robert Reuter, ce qui lui amène à une reconnaissance de fait par le reste de la profession. Mais surtout, très compétente, elle fait vite ses preuves et elle devient rapidement pair parmi ses confrères du barreau qui apprécient ses capacités et son efficacité.
Ainsi, pendant une dizaine d’année, jusqu’en 1968 elle collabore avec son mari : si chacun a ses affaires, agissant en même qualité de représentants du cabinet d’avocat, ils peuvent se remplacer mutuellement à l’occasion. C’est durant cette période que le couple Reuter aura un fils, en 1959, Philippe Reuter, qui se destinera plus tard lui aussi aux professions du droit.
Malheureusement, le destin vient frapper la famille Reuter, et, en 1968, Robert Reuter décède, laissant Renée seule praticienne dans son cabinet d’avocat, tout en étant jeune maman. Elle relèvera le défi et continuera à tenir le cabinet sans difficulté pendant presque une année. Mais, au bout d’une décennie de présence parmi ses collègues du barreau, sa compétence appréciée font d’elle une collègue compétitive et en vogue.
Ainsi, Maître Georges Chatenay, figure bien connue du barreau et du paysage politique d’alors décide de proposer à Maître Renée Reuter de s’associer afin de former un cabinet en commun. Renée Reuter nous indique ” Je connaissais bien le travail de Maître Chatenay. Avec sa façon de travailler et de fonctionner, je savais que nous ferions une bonne équipe. Je n’ai pas hésité longtemps avant d’accepter.“
Une nouvelle période commence alors. Période multi-facettes, car en plus du cabinet d’avocats, Renée Reuter se lance également en politique, et devient conseillère municipale pour la ville de Nouméa, de 1970 à 1976. Ce qui fait là aussi d’elle une pionnière, puisque si ce n’est pas la toute première, elle fait partie des premiers représentants de la gente féminine à occuper ce poste.
Travaillant tant au sein du cabinet qu’à la mairie, elle est principalement membre du groupe de travail qui s’occupe de vérifier l’hygiène et la bonne tenue des commerces de la ville. Elle participe aussi aux conseils municipaux, avec le maire historique de l’époque, Roger Laroque.
Avant de devenir conseillère municipale, toutefois, elle avait prévenu : “Un seul mandat“. Et Renée s’y est tenue. En 1976, celle-ci n’a pas renouvelé l’aventure et a pu à nouveau se consacrer entièrement à son cœur de métier : son cabinet d’avocats et le droit.
Et ce plein dévouement a dû être repéré par ses collègues. Ainsi en 1981 c’est la consécration. Elle est élue par ses pairs, en majorité des hommes, au poste prestigieux de bâtonnier. Le bâtonnier occupe une fonction très importante au sein du barreau avec plusieurs implications : pouvoir de décision, dont le pouvoir disciplinaire de sanctionner des collègues avocats, présidence du conseil de l’ordre, représentation protocolaire à l’égard des autorités, gestion de l’administration du barreau, mais aussi assistance judiciaire et juridictionnelle.
Bâtonnier pendant deux ans, de 1981 à 1983, cette époque a été riche en évènements : “j’ai beaucoup travaillé. Il y a eu des moments assez difficiles. J’ai dû me résoudre à quelques reprises sanctionner des collègues. Ce n’est jamais une décision que l’on prend à la légère, c’est une responsabilité lourde.” Il semble aussi que le fait d’être puni par une femme n’ait pas plu à certains. Pourtant, comme l’indique Renée “J’ai dirigé un barreau essentiellement constitué d’hommes“.
Une autre anecdote concerne son engagement politique et sociétal. Bien que sa carrière politique ait été terminée, alors que la période très tendue des évènements commençait, elle a fait partie d’un cortège lors d’une des grandes manifestations contre l’indépendance. Elle se rappelle : “Un défilé de femmes, nous étions dans un cortège entièrement féminin, et nous menions la marche, avec Roberte [Lafleur], et alors que nous arrivions vers le haussariat où restaient cachés le président en visite qui n’a pas voulu rencontrer la population et le haussaire, nous étions en train de crier nos slogans. Jamais ils ne sont sortis de leur cachette. Le président, effrayé par un cortège de femmes.” nous raconte-t-elle avec le sourire.
Par la suite, même si les évènements ont continué à bercer le quotidien de tous les calédoniens de moments difficiles, après 1983 et l’effervescence qu’elle avait connu en tant que bâtonnier pendant 2 ans, Renée s’approchait tout de même de la fin de sa carrière : depuis 1958, cela faisait déjà 25 ans qu’elle exerçait. De 1983 à 1989 elle a exercé tout en commençant à lever le pied progressivement, tout comme son collègue Georges Chatenay qui se faisait vieux.
Mais alors qu’elle s’apprêtait à raccrocher, elle a décidé de “rempiler” pour quelques années encore : son fils Philippe Reuter, avait fini ses études de droit et était prêt à reprendre le cabinet familial. Néanmoins, il lui manquait l’expérience et la connaissance des dossiers.
Renée Reuter, après avoir effectué sa mission de transmission du savoir à la génération suivante finit tout de même par prendre sa retraite à l’âge de 64 ans, au milieu des années 1990.
Non seulement reconnue par ses pairs en 1981, ceux-ci lui feront un autre cadeau. Sans le lui dire, ils ont lancé la procédure pour la faire reconnaître à l’Ordre du mérite ,après une carrière bien méritée.
De la jeune femme arrivée en 1958 qui devait parfois subir “un regard difficile à encaisser“, en passant par le quotidien bien acquis “des moments agréables, on se connaissait, on siégeait ensemble“, jusqu’à gravir les plus hauts échelons pour finir par être unanimement appréciée, que de chemin parcouru : en 1990, Renée Reuter reçoit l’Ordre du Mérite, plus haute distinction française après la Légion d’Honneur.
Elle laisse en héritage son cabinet d’avocats, aujourd’hui tenu par son fils, maître Philippe Reuter, le cabinet Reuter – de Raissac – Patet, qui en digne successeur de sa lignée d’avocats, a lui aussi occupé la fonction de bâtonnier au barreau. Un cabinet qui aujourd’hui encore, rend honneur à la gent féminine avec de nombreuses collaboratrices dans ses rangs.
Sources :
- « Terre de mémoires », Reportage NC1ère, 3 mars 2015.
- « Le Mémorial Calédonien, Tome VIII », Philippe Godard, 1981
- La France Australe, édition du 26.03.1971, 7 J 391, Fonds 7J – La Presse Calédonienne – Service des archives de la Nouvelle-Calédonie
- La France Australe, édition du 27.03.1971, 7 J 391, Fonds 7J – La Presse Calédonienne – Service des archives de la Nouvelle-Calédonie
- Les Nouvelles-Calédoniennes, édition du 14.04.1981, P87 Fonds LNC – Service des archives de la Nouvelle-Calédonie
- Avec l’aimable participation de Philippe et Renée Reuter, qui ont bien voulu nous accorder un entretien et nous transmettre des photographies, un grand merci !
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