Anna Gowete
Anna Gowete (1926-2000), Pionnière et matriarche du cricket féminin en Nouvelle-Calédonie
Née à Lifou en 1926, Anna Gowete est une personnalité du monde du cricket en Nouvelle-Calédonie. Pionnière organisatrice, celle qui dans sa jeunesse connaîtra l’essor du cricket, sport principalement masculin, jouera un rôle dans l’appropriation de ce sport par les femmes mélanésiennes. Aujourd’hui, plus personne ne se pose la question, après le football, le cricket est certainement le sport le plus pratiqué en Nouvelle-Calédonie et rythme la vie de nombreuses femmes en tribu.
Témoignant dans le livre « Sport en Scores », Anna se rappelle qu’il n’était pas si évident pour les jeunes filles dans les années 1930 de pratiquer le cricket : « Le plus souvent on jouait au cricket après l’école. Les sœurs nous surveillaient pendant les parties de cricket et semblaient préférer nous apprendre à jouer à la marelle. Cependant, le week-end, les garçons se joignaient à nous pour des compétitions. À l’époque, on jouait avec le style Ova Ball : la balle était lancée vers le haut, ce qui ne se fait pas normalement. Après les années 50, chaque tribu a son équipe de femmes et d’hommes. Par contre, il n’y a pas d’équipe d’enfants. Les enfants jouent entre eux. Au départ il n’y avait que les hommes, mais beaucoup sont ensuite séduits par le football. Vers 1920 – 1930, les femmes se mettent à jouer. »
Ayant pratiqué le cricket depuis l’enfance, en 1949, à l’âge de 23 ans, elle part sur Nouméa. Ce départ lui permettra de jouer un grand rôle dans le développement des ligues de cricket sur le territoire, en particulier dans la capitale. Elle va rapidement jouer un rôle d’organisatrice, dont elle n’hésite d’ailleurs pas à témoigner :
« Les femmes ne sont pas trop d’accord pour rentrer dans des associations structurées car il faut payer des adhésions, des cotisations, faire des photos d’identité et tout cela coûte cher. » Mais à chaque problème sa solution. Anna a de la suite dans les idées et décide d’aider les femmes à se lancer dans ce sport. Elle les pousse à adhérer à des clubs, quitte à vendre des bougnas pour récupérer de l’argent.
Bien décidée à développer la pratique du cricket chez elle à Lifou, Anna crée l’équipe du Wetr, qui regroupe environ 50 filles des 17 tribus qui composent le district. Si généralement il n’y a pas de tenues, Anna Gowete choisit tout de même les couleurs officielles de la tenue de sport : le blanc et le bleu, qui rappellent la couleur du ciel et des nuages, mais qui sont également les couleurs de la Sainte-Vierge.
Se plaçant dans une tradition croyante, par tradition, à chaque victoire, Anna donne les coupes aux sœurs de Saint-Louis.
Ainsi, peu à peu, la pratique prend et à partir des années 1950-1960, les samedis et dimanches sont ainsi rythmés par des matchs et des paris organisés entre les différentes équipes. Il y en a alors environ neuf. Les équipes de Wetr, de Gaïtcha, de Lössi ont des joueuses et joueurs des îles qui représentent leurs districts mais qui vivent à Nouméa.
Le cricket se pratique pour les grandes fêtes religieuses de fin d’année. C’est l’occasion de paris d’argent, les gagnants peuvent remporter 500 ou 1 000 francs. Cet argent permet de faire des bougnas, certains offrent des cochons ou des légumes aux joueurs rendant ainsi possible de grands repas conviviaux.
Mais si Anna Gowete a marqué le monde du cricket, ce n’est pas uniquement pour ses qualités d’organisatrice. La fondatrice et matriarche de ce sport est en fait une athlète exceptionnelle, qui pratique en permanence et vit sa passion aussi souvent qu’elle le peut.
Ses prouesses légendaires ont donné lieu à des records qui tiennent encore aujourd’hui en 2024 ! Ainsi, Anna est détentrice du record de tapées, à Nouméa comme aux Îles. En fait c’est le record absolu de toute l’Histoire du Cricket en Nouvelle-Calédonie : 239 tapées en un seul match, à l’occasion d’un match en 1969, où l’équipe de Wetr (Lifou) affrontait l’équipe de Iola (Maré).
À une autre occasion, face à une adversaire redoutable dans un match disputé, elle fut ex-aequo avec une joueuse de Gaïtcha à 150 tapées chacune.
Organisatrice de talent, Anna sait mettre à profit ses prouesses d’athlètes pour faire la publicité de son sport et obtenir de meilleures conditions sportives pour les femmes qui pratiquent le cricket : lorsque les équipes de télévision viennent filmer ses exploits, elle en profite pour demander directement devant les caméras la construction d’un terrain pour les matchs de cricket.
Revenant sur l’importance symbolique, culturelle et populaire que ce sport revêt, Anna indique : « À chaque fois qu’on joue un match de cricket, on fait la coutume, chaque équipe doit faire ou donner quelque chose. Les hommes mettent des manous sur les arbres, certaines femmes font des bougnas, d’autres décorent. Chacun prépare ainsi quelque chose pour se réunir après les matchs afin de faire la fête, bien manger et discuter.
Comme tout sport, le cricket rassemble : on a pu régler des bagarres, des conflits et regrouper des jeunes de toute la Calédonie. Par ces rencontres, on se connaît et on peut discuter. Grâce au sport, il y a moins de conflits ; les jeunes se mélangent entre jeunes des îles et de la grande terre…
Les cotisations sont chères, elles s’élèvent de 3 000 à 4 000 francs par an. Il faut être très nombreux dans les clubs pour qu’il y ait assez de joueurs les jours de matchs car certains rentrent sur les îles et d’autres vont à la pêche ou sont occupés avec leur famille. »
Grande promotrice de son sport, après les années 1970 et la cinquantaine venue, Anna Gowete fait de moins en moins d’apparition dans les matchs de compétition, alors qu’une nouvelle génération émerge, mais ne cesse jamais de vivre sa passion, de jouer pour le plaisir et d’apprendre à la jeunesse comment pratiquer son sport.
Dans les dernières années de sa vie, dans les années 1990, on pouvait la voir de temps en temps manier la batte et aider des petits jeunes à corriger leur posture !
Anna Gowete s’éteint en l’an 2000, à l’âge de 74 ans.
Véritable figure pionnière du Cricket en Nouvelle-Calédonie et sportive exceptionnelle dont certains records sont toujours d’actualité plus de 50 ans après, Anna Gowete méritait bien d’être mise en avant et qu’on lui rende hommage. Le monde des pratiquants de cricket peut la remercier !