Juin 2025 | SUD'MAG #25 5 ZOOM SUR 26 juin 1988, une création inédite : les trois Provinces L’accord acte un tournant décentralisateur fort : désormais, la collectivité se dote de trois provinces —Sud, Nord et Îles — dotées de compétences propres, de budgets distincts et d’une représentation politique. Ce sont ces entités qui auront la charge de mettre en œuvre les politiques de développement, notamment en matière d’éducation, de santé, d’aménagement, ou de culture. Pourquoi ce choix ? « Pour répondre à une exigence de justice territoriale. Le Sud, historiquement développé, concentrait l’essentiel des infrastructures et des ressources économiques, précise Fanny Pascual, maitre de conférences à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC). Le Nord et les Îles, à majorité kanak, restaient en retrait, tant économiquement qu’administrativement. L’accord de Matignon entend corriger ce déséquilibre : il donne aux Provinces les moyens d’agir localement, au plus près des populations ». Un levier pour le rééquilibrage Dotées de compétences étendues et d’un financement conséquent – assuré par un mécanisme de répartition de la dotation globale – les provinces deviennent le bras financier du rééquilibrage voulu par Matignon. Dans le Nord et les Îles, des internats sont construits, des dispensaires rénovés, des lycées techniques créés. L’université s’implante à Koné. Le pari est de désenclaver les territoires kanak, de leur offrir les moyens de leur développement propre, dans le respect des identités locales. Dans le Sud, la Province reste un moteur économique, mais elle doit aussi composer avec une forte urbanisation et des inégalités croissantes ainsi qu’un fort exode de la population malgré cette volonté de rééquilibrage. Les politiques sociales deviennent un enjeu majeur avec des moyens de plus en plus contraints. Trente-sept ans après, le modèle provincial a-t-il tenu ses promesses ? « Oui, si l’on regarde la montée en puissance du Nord et des Îles. Des zones autrefois marginalisées sont aujourd’hui dynamiques, portées par des projets structurants comme l’usine du Nord, les programmes de formation locale ou encore l’essor d’un tissu associatif et culturel propre », explique Fanny Pascual. Adapter le rééquilibrage Mais ce modèle, pensé à une époque de reconstruction, montre aujourd’hui ses limites. Et c’est particulièrement vrai pour la province Sud, qui concentre environ 75 % de la population, l’essentiel de l’activité économique et les infrastructures majeures du territoire… mais qui ne perçoit qu’environ 50 % de la dotation globale de fonctionnement. Le cœur du problème : la clé de répartition. Cet outil budgétaire, prévu par les accords, vise à favoriser le rééquilibrage en affectant une part plus importante des ressources aux provinces Nord et Îles. Jusque-là, rien d’illogique. Sauf que cette clé, figée depuis des décennies, ne tient pas compte des réalités actuelles : explosion démographique dans le Grand Nouméa, extension des compétences transférées, pression croissante sur les services publics (santé, éducation, social). Résultat : la province Sud, bien que sursollicitée, doit parfois rogner sur ses programmes ou différer des projets, faute de moyens. « Aujourd’hui, on prend en charge des milliers de personnes dans nos dispensaires, nos collèges, nos dispositifs sociaux… mais avec un budget calculé sur des critères obsolètes. C’est intenable à moyen terme, » souligne la présidente Sonia Backès. La demande, côté Sud, n’est pas de supprimer le rééquilibrage. Elle est de l’adapter : actualiser les données, revoir les indicateurs, mieux répartir les charges. En clair, sortir du logiciel de 1988 pour entrer dans celui de 2025. Et derrière cette question budgétaire, c’est toute l’architecture institutionnelle qui vacille. Car une collectivité, même décentralisée, ne peut survivre durablement si elle est fragilisée dans sa capacité à assumer ses missions de base. Ainsi, si les Provinces restent l’un des piliers de la paix calédonienne, leur avenir repose désormais sur une réforme profonde — à la fois technique et politique — de la solidarité interprovinciale. Faute de quoi, c’est le contrat même de Matignon qui pourrait se fissurer. Le dimanche 26 juin 1988, au terme d’une nuit de négociations à Matignon, l’histoire de la NouvelleCalédonie bascule. Ce jour-là, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur signent, sous l’égide de Michel Rocard, un accord politique sans précédent. Au cœur de ce texte : la reconnaissance de la pluralité des mémoires, un engagement vers un rééquilibrage économique et, surtout, la naissance des trois Provinces qui vont structurer durablement la vie institutionnelle calédonienne.
RkJQdWJsaXNoZXIy MjE1NDI=