Mieux protéger et accompagner les enfants victimes de violences conjugales

RAPPORT MIEUX PROTÉGER ET ACCOMPAGNER LES ENFANTS CO-VICTIMES DES VIOLENCES CONJUGALES R A P P O R T O B S E R VAT O I R E R É G I O N A L D E S V I O L E N C E S F A I T E S A U X F E MM E S ORVF LES PRÉCONISATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL RÉUNI PAR L’OBSERVATOIRE RÉGIONAL DES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES DU CENTRE HUBERTINE AUCLERT 2021 Mise à jour : octobre 2021

ÉDITO CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (3) 143 000 enfants vivent dans un foyer où les femmes sont victimes de violences conjugales physiques et sexuelles ! Témoins de ces violences, ou directement touché·es, des dizaines de milliers d’enfants en souffrent. Les conséquences sont néfastes pour leur développement, leur santé physique, leur santé mentale, ainsi que dans leur perception des relations entre les femmes et les hommes. Malgré cela, dans notre pays, ces enfants sont encore insuffisamment reconnu·es comme victimes de violences conjugales. Conséquence logique de cette invisibilité : peu de dispositifs d’accompagnement spécialisé leurs sont destiné·es. Pour mettre en lumière ces violences faites aux enfants, un groupe de travail a été initié à la demande d’une conseillère régionale membre du conseil d’administration du Centre Hubertine Auclert dans le but de formuler des préconisations précises et efficaces. Celui-ci s’est tenu sous l’égide de l’Observatoire régional des violences faites aux femmes du Centre Hubertine Auclert et a rassemblé des expert·es, des représentant·es de collectivités locales, de l’État, de la Justice, de l’Ordre des médecins, des associations spécialisées ainsi que des conseiller·ères régionaux. Les recommandations juridiques et institutionnelles ainsi émises s’adressent à tous et toutes les décideurs et décideuses politiques : il faut agir à tous les échelons pour enrayer ce phénomène social majeur. Pour le Conseil régional d’Île-de-France, la lutte contre les violences faites aux femmes constitue une priorité : elle a été choisie comme Grande Cause Régionale 2017. Dans ce cadre, une attention particulière sera portée aux enfants co-victimes de ces violences. La Région mène déjà des actions sur plusieurs fronts pour renforcer l’aide apportée aux femmes victimes et leurs enfants, et ces actions ne cessent de s’amplifier. D’abord, dans le soutien au développement des dispositifs spécialisés d’accompagnement des femmes victimes et leurs enfants ainsi que leur accès à des logements pérennes. Puis dans le renforcement des dispositifs tels que le Téléphone grave danger pour prévenir la récidive des violences, le féminicide et l’infanticide. À travers l’Observatoire régional des violences faites aux femmes du Centre Hubertine Auclert, le Conseil régional renforce l’expertise, le travail en réseau, ainsi que la sensibilisation contre ces violences, essentielle pour les prévenir. La protection, l’accompagnement et le soin des enfants co-victimes de violences conjugales doivent devenir de nouvelles priorités d’action publique ! Les préconisations de ce rapport donnent des clés pour agir de manière globale et efficiente. État, Régions, Départements, Intercommunalités, Municipalités, professionnel·les, saisissez-vous-en pour agir à votre niveau ! Marie-Pierre Badré Conseillère régionale, Présidente du Centre francilien pour l’égalité femmes-hommes - Centre Hubertine Auclert, Déléguée spéciale à l’égalité femmeshommes auprès de Valérie Pécresse Clothilde Derouard Conseillère régionale, administratrice du Centre francilien pour l’égalité femmes-hommes - Centre Hubertine Auclert mars 2017

ÉDITO, MARS 2017 3 PRÉAMBULE 6 RECOMMANDATIONS 10 1 INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS 13 L'ampleur des violences conjugales subies par les enfants 14 Les mécanismes des violences conjugales 15 Les conséquences des violences conjugales sur le développement de l'enfant et sur les modèles parentaux 17 2 RENFORCER LA SENSIBILISATION SOCIÉTALE SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS 22 Intégrer la thématique des enfants co-victimes dans les campagnes de sensibilisation 23 Prévenir les violences faites aux femmes par l'éducation à l'égalité femmes-hommes/filles-garçons dès le plus jeune âge 24 3 AMÉLIORER L'ACCÈS DES ENFANTS VICTIMES ET DE LEUR MÈRE AUX DISPOSITIFS DE MISE EN SÉCURITÉ 26 Faciliter l'accès à l'hébergement sécurisé et au logement pérenne 27 Renforcer et uniformiser l'attribution du téléphone grave danger et de l'ordonnance de protection 31 4 RENFORCER ET DÉVELOPPER LES DISPOSITIFS D'ACCOMPAGNEMENT ET DE SOINS DES ENFANTS ET DES MÈRES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES 35 Développer les dispositifs d'accompagnement dans toutes les associations spécialisées dans l'accueil des femmes victimes 37 Faciliter l'accès aux soins psycho-traumatiques pour les enfants co-victimes de violences conjugales 41 Améliorer la prise en charge des enfants témoins d'un meurtre de l'un·e de ses parents par l'autre parent 42 5 AMÉLIORER LA FORMATION DES PROFESSIONNEL·LES EN CONTACT AVEC DES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES ET LEURS ENFANTS 44 SOMMAIRE

6 RENFORCER LE RÔLE DE LA PROTECTION DE L'ENFANCE DANS LA DÉTECTION DES ENFANTS CO-VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES 48 Systématiser le repérage par les professionnel·les de la protection de l'enfance des violences sur les mères et leurs enfants 50 Élargir la définition du danger de la protection de l'enfance en y incluant l'exposition aux violences conjugales 53 Prendre en compte le contexte des violences conjugales lors de la transmission d'une information préoccupante 54 Envisager la mesure éducative judiciaire en tenant compte du contexte des violences conjugales 55 N'envisager le placement de l'enfant qu'en dernier recours 56 Développer des expérimentations novatrices, à l'instar des structures d'accompagnement alternatives au placement de l'enfant 57 7 RECONNAÎTRE DANS LE DROIT PÉNAL L’ENFANT EXPOSÉ·E AUX VIOLENCES CONJUGALES COMME ÉTANT VICTIME DE VIOLENCES PSYCHOLOGIQUES 58 8 RENFORCER L'APPLICATION DE LA LOI SUR L'AUTORITÉ PARENTALE PERMETTANT DE GARANTIR L'INTÉRÊT ET LA SÉCURITÉ DE L'ENFANT EN CAS DE VIOLENCES CONJUGALES 62 Prévenir la continuité des violences conjugales après la séparation dans le cadre de la coparentalité 64 Faire primer l'intérêt et la sécurité de l'enfant dans les décisions de justice sur l'autorité parentale et son excercice en cas de violences conjugales 67 9 RENFORCER LA COOPÉRATION INTERINSTITUTIONNELLE SUR LA PROBLÉMATIQUE DES ENFANTS CO-VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES 79 Renforcer la coopération entre les acteur et les actrices de la justice pénale, civile et de la protection de l'enfance 80 Renforcer le travail en réseau au niveau local 81 Renforcer la coopération départementale 82 10 SOURCES D'INFORMATION 84

P PRÉAMBULE

Les violences conjugales ont des conséquences graves et durables sur les enfants qui sont directement victimes ou exposé·es à ces violences. Les conséquences de ces violences sont encore peu connues en France et des améliorations des dispositifs existants sont nécessaires pour mieux protéger et accompagner les enfants et leur parent victime. Face à ces constats, l’Observatoire régional des violences faites aux femmes, sous l’impulsion de Clotilde Derouard, conseillère régionale et administratrice du Centre Hubertine Auclert, a mis en place un groupe de travail réunissant des expert·es, des représentant·es de collectivités locales, de l’État, de la Justice, de l’Ordre des médecins, des associations spécialisées, ainsi que des conseillers et conseillères régionales dans l’objectif d’engager une réflexion sur des leviers institutionnels et juridiques qui permettraient de mieux protéger les enfants co-victimes de violences conjugales. Le groupe de travail s’est réuni à plusieurs reprises entre septembre 2016 et janvier 2017. Les participant·es au groupe de travail (voir la liste page 8) ont été auditionné·es afin de partager leur expertise pluri-professionnelle. Les réflexions du groupe de travail ont abouti aux préconisations concrètes de réformes juridiques et institutionnelles présentées dans ce rapport. Elles permettent de mieux protéger et accompagner les enfants co-victimes de violences conjugales. Ces préconisations s’adressent en premier lieu aux décideurs et décideuses politiques (Gouvernement, Parlement et collectivités territoriales) ainsi qu’à tous et toutes les professionnelles concernées par la thématique de la protection de l’enfance et de la lutte contre les violences conjugales. Outre les auditions réalisées dans le cadre de l’activité du groupe de travail, le rapport se base sur les principales enquêtes et études disponibles sur la problématique (voir la bibliographie page 84). Il fait également référence aux principaux textes et programmes d’action, français et internationaux, en matière de protection de l’enfance et de lutte contre les violences faites aux femmes : la Convention d’Istanbul ratifiée par la France en 2014, le 5ème Plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes 2017-2019 ; le 1er Plan interministériel de lutte et de mobilisation contre les violences faites aux enfants 2017-2019. Ce rapport a été actualisé en 2021. En effet, trois lois votées en 2019, 2020 et 2021 ont apporté plusieurs modifications aux Codes civil et pénal concernant la question de la protection et l’accompagnement des enfants co-victimes de violences conjugales. Ces lois s’inscrivent dans les mobilisations engagées suite au Grenelle des violences conjugales qui s'est tenu en 2019, notamment la loi nº 2019-1480 du 28 décembre 2019 (dite « loi Pradié ») visant à agir contre les violences au sein de la famille, et la loi nº 2020-936 du 30 juillet 2020 (dite « loi Couillard ») visant à protéger les victimes de violences conjugales. L'examen de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 (dite « Loi Billon ») visant à protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels, et de l'inceste a débuté dans le contexte des révélations #MeTooIncest qu’a suscité la sortie du livre de Camille Kouchner La Familia grande, dans lequel elle relate l'inceste dont a été victime son frère jumeau. PPRÉAMBULE CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (7)

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (8) PRÉAMBULE LISTE DES PARTICIPANT·ES AU GROUPE DE TRAVAIL Les membres de ce groupe de travail sont vivement remercié·es pour leur présence et leurs contributions, qui ont permis de développer des préconisations solides, concernant de nombreux champs d’intervention publique. • BADRÉ Marie-Pierre, conseillère régionale, présidente du Centre Hubertine Auclert, déléguée spéciale à l’égalité femmes-hommes au sein du Conseil régional d’Île-de-France • DEROUARD Clotilde, conseillère régionale, administratrice du Centre Hubertine Auclert • DEMONCHY Valérie, chargée de mission promotion des droits et lutte contre les violences sexistes à la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) • DUBOIS Christine, avocate du barreau de la Seine-Saint Denis, commission « violences faites aux femmes » • DURAND Édouard, magistrat, juge des enfants • GAUTIER Isabelle, psychiatre, Conseil régional de l’Ordre des médecins • GOURLET Delphine, médecin de PMI adjointe, Mairie de Paris • GUILLEMAUT Christine, chargée de projet, Observatoire parisien des violences faites aux femmes (OPVF), Mairie de Paris • JOANNET Catherine, sage-femme cadre / CCF, DFPE, Mairie de Paris • JONQUET Anne, avocate du barreau de la Seine-Saint Denis, commission « violences faites aux femmes » • LAGARDE Maryse, directrice, Centre départemental d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) Hauts-de-Seine/Clamart • LAMIRÉ-BURTIN Sandrine, conseillère régionale • LAPORTE Manon, conseillère régionale • LE CLÈRE Arnaud, conseiller régional, administrateur du Centre Hubertine Auclert • LEFEUVRE Dominique, Mission Familles, Mairie de Paris • NKONDA Brice, conseiller régional • PALLUD Aminata, responsable de la protection de l’enfance, Conseil départemental du Val-de- Marne (l’Espace départemental de solidarité d’Alfortville) • PASSAGNE Christine, conseillère technique-droit, Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF) • PAWLIK Déborah, conseillère régionale, administratrice du Centre Hubertine Auclert • PERDEREAU Isabelle, conseillère régionale, administratrice du Centre Hubertine Auclert • RICHARDET Claire, médiatrice Familiale, référente violence conjugale, Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris (CASVP), Mairie de Paris • RONAI Ernestine, responsable de l’Observatoire départemental des violences faites aux femmes de la Seine-Saint-Denis, représentée par Mme Carole Barbelane-Biais • ROMANA Viviane, conseillère régionale, administratrice du Centre Hubertine Auclert • SADLIER Karen, docteure en psychologie clinique, spécialiste des conséquences des violences conjugales sur les enfants • SIEHEN Mélanie, vice-présidente de l’Union régionale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes, directrice de l’association Association Solidarité Femmes - Le Relais 77 • SUEUR Gwénola, secrétaire générale de l’association SOS LES MAMANS, écoutante • TOUTAIN Françoise, directrice de l’association Centre Flora Tristan

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (9) PRÉCISION TERMINOLOGIQUE Compte tenu du fait que les femmes subissent les violences conjugales de manière disproportionnée par rapport aux hommes (voir les chiffres présentés dans la première partie du présent rapport), ce rapport, pour être en adéquation avec ces statistiques, adopte la terminologie « mère-victime », « père-agresseur », sans omettre qu’une partie des pères peut être également victime de violences conjugales et sans « enfermer » les mères dans un statut de victime. PRÉAMBULE RÈGLE DE PROXIMITÉ : Nos publications intègrent « la règle de proximité » qui accorde en genre et en nombre l’adjectif, le participe passé et le verbe, avec le nom qui précède ou qui le suit immédiatement. Exemple : « les hommes et les femmes sont belles ». Cette règle grammaticale, utilisée jusqu’au XVIème siècle, évite que « le masculin l’emporte sur le féminin » comme c’est le cas aujourd’hui. Utiliser la règle de proximité permet donc de rétablir l’égalité entre les femmes et les hommes dans la langue et la grammaire. Toutes les notes de bas de page sont répertoriées dans l'index, page 91.

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (10) R RECOMMANDATIONS

RECOMMANDATIONS RECOMMANDATION N°1 : Renforcer la sensibilisation sociétale sur les violences faites aux femmes et leurs conséquences sur les enfants afin de permettre une prise de conscience sur l’ampleur et la gravité de ces phénomènes : Intégrer la thématique des enfants co-victimes dans les campagnes de sensibilisation sur les violences faites aux femmes. Prévenir les violences par l’éducation à l’égalité femmes-hommes/filles-garçons dès le plus jeune âge, pour agir en amont de l’apparition de ces violences prenant racine dans les inégalités structurelles et les schémas de relations asymétriques entre les femmes et les hommes. RECOMMANDATION N°2 : Améliorer l’accès des enfants victimes et de leur mère aux dispositifs de mise en sécurité pour leur permettre de se reconstruire à l’abri des violences perpétrées par l’agresseur : Faciliter l’accès à l’hébergement d’urgence et à l’hébergement temporaire pour garantir la mise en sécurité rapide des victimes dans les conditions adaptées. Renforcer l’application de la législation en matière d’éviction du partenaire violent du domicile pour permettre aux victimes de rester dans leur logement si elles s’y sentent en sécurité. Faciliter l’accès au logement pérenne pour les femmes victimes de violences et leurs enfants, qui ont quitté leur domicile, afin de garantir leur protection et leur reconstruction dans la durée. Renforcer et uniformiser l’attribution du Téléphone grave danger, dans le but de protéger les victimes et prévenir la récidive des violences, voire le féminicide et l’infanticide. Renforcer et uniformiser l’attribution de l’ordonnance de protection pour renforcer la sécurité des victimes. RECOMMANDATION N°3 : Renforcer et développer les dispositifs d’accompagnement et de soins des enfants et des mères victimes de violences conjugales pour les aider à se libérer des traumatismes générés par les violences subies : Développer, dans toutes les associations spécialisées dans l’accueil des femmes victimes de violences, des dispositifs spécialisés d’accompagnement des enfants les aidant à se reconstruire, par exemple à travers des ateliers ou des groupes de parole. Améliorer l’accès aux soins psycho-traumatiques pour les enfants co-victimes de violences conjugales qui en ont besoin. Améliorer la prise en charge socio-médicale rapide des enfants témoins d’un meurtre de l’une de ses parents par l’autre parent, en généralisant le dispositif « Féminicide » expérimenté en Seine-Saint-Denis. RECOMMANDATION N°4 : Améliorer la formation de tous et toutes les professionnelles potentiellement en contact avec des femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants, pour renforcer leur compréhension des mécanismes et des conséquences de ces violences ainsi que le repérage et la prise en charge des victimes. CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (11)

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (12) RECOMMANDATIONS RECOMMANDATION N°5 : Renforcer le rôle de la protection de l’enfance dans la détection des enfants co-victimes de violences conjugales, afin de sécuriser leur situation, en même temps que celle de leur mère : Améliorer le repérage par les professionnel·les des enfants co-victimes de violences conjugales par la systématisation du questionnement sur les violences. Inclure la question de l’exposition aux violences conjugales dans le référentiel d’évaluation du danger encouru par l’enfant. Prendre en compte le contexte des violences conjugales lors de la transmission d’une information préoccupante, en désignant clairement le parent auteur de violences conjugales et le parent victime. Envisager la mesure éducative en tenant compte du contexte des violences conjugales, afin d’en adapter les modalités et d’éviter son instrumentalisation par l’agresseur. N’envisager le placement de l’enfant qu’en dernier recours, pour éviter l’imposition d’une double-peine à la mère et à l’enfant victimes. Développer des solutions alternatives au placement de l’enfant par le biais de structures expérimentales de prise en charge conjointe de la mère et de l’enfant victimes. RECOMMANDATION N°6 : Reconnaître l’enfant en tant que victime de violences psychologiques dans le droit pénal lorsqu’il ou elle est exposée aux violences conjugales, même si il ou elle n’est pas directement ciblée par l’auteur des violences, afin de permettre à l’enfant d’accéder aux droits des victimes prévus par le Code pénal et renforcer la condamnation de l’agresseur. RECOMMANDATION N°7 : Faire primer l’intérêt et la sécurité de l’enfant dans les décisions de justice en matière de l’autorité parentale : Prendre en compte le danger de la continuité des violences après la séparation dans le cadre de la coparentalité. Renforcer l’application de la loi existante qui prévoit, lorsque la sécurité de l’enfant l’exige, le retrait de l’autorité parentale au parent-auteur de violences, ainsi que l’attribution de l’exercice exclusif de l’autorité parentale au parent-victime et l’aménagement des droits de visite et d’hébergement. RECOMMANDATION N°8 : Renforcer la coopération interinstitutionnelle sur la problématique des enfants co-victimes de violences conjugales, afin d’améliorer le travail en réseau et d’harmoniser la prise en charge des victimes par les différentes institutions : Renforcer la coopération entre les acteurs et actrices de la justice pénale, civile et de la protection de l’enfance, afin de faciliter la transmission et le partage de l’information. Renforcer le travail en réseau au niveau local et départemental, pour faciliter les partenariats entre les différentes institutions en contact avec les victimes de violences conjugales, pour qu’elles soient mieux détectées et prises en compte.

1 INTRODUCTION ENJEUX ET CONSTATS

En France, en moyenne 143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré des formes de violences sexuelles et/ou physiques au sein de son couple. 42 % ont moins de 6 ans. Deux sur trois vivent dans un foyer où les violences sont répétées1. Il s’agit d’une évaluation qui ne concerne que les violences sexuelles et/ou physiques déclarées. Si on tenait compte des violences psychologiques (les plus répandues selon l’enquête ENVEFF), ainsi que du fait que de nombreuses violences restent sous-déclarées par les victimes, l’estimation du nombre d’enfants exposé·es aux violences serait beaucoup plus élevée. La Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) a estimé, à partir des chiffres de l’enquête ENVEFF, le nombre d’enfants concerné·es par l’exposition aux violences conjugales en France à 4 millions2. Il est essentiel de considérer que toute violence faite aux femmes est également une violence faite aux enfants.3 Dans 10 % des cas de violences conjugales recensés dans le rapport Henrion, les violences s’exerçaient aussi sur les enfants. Pour les enfants ayant une mère victime de violences conjugales le risque est 6 à 15 fois plus élevé d’être elles-euxmêmes directement la cible de ces violences4. Le fait d’avoir des enfants, notamment en bas âge, est un facteur de risque supplémentaire de violences conjugales5. En 2020, 14 enfants ont été tué·es dans le cadre des violences au sein du couple. Huit enfants sont décédé·es concomitamment à l’homicide de leur mère et six ont été tué·es par le L'AMPLEUR DES VIOLENCES CONJUGALES SUBIES PAR LES ENFANT parent-auteur de violences conjugales, sans que l’autre parent ne soit elle aussi tuée6. Les enfants étaient présent·es dans 47 % des cas de féminicides analysés en 2019 par le ministère de la Justice.7 Les données de l’enquête Virage (violences et rapports de genre) publié par l’INED et le Centre Hubertine Auclert, Violences vécues par les femmes et les hommes en Île-de-France : famille, conjugalité, travail, études et espaces publiques8 précisent qu’« une Francilienne sur trois déclare qu’un·e enfant s’est interposé·e lors des violences exercées par son partenaire, sur les 12 derniers mois [et que] près de 30 % des femmes déclarant des violences au sein du couple au cours de leur vie indiquent que d’autres personnes ont assisté aux violences, en particulier des enfants. » Comme pour les appels en France9, près de huit Franciliennes sur dix appelant le 3919 (Violences Femmes Info) ont des enfants. 3 % des Franciliennes appelant le 391910 sont enceintes au moment de l’appel : la grossesse, l’adoption et la naissance d’un·e enfant sont des facteurs d’aggravation ou d’apparition des violences qui sont fréquemment cités par les victimes11. Sur l’ensemble des appels au 3919 en France en 2019, 33 % des femmes ont déclaré que les enfants ont subi des maltraitances de la part de leur père. Malgré les violences conjugales, dans près d’une situation sur dix, l’enfant réside pourtant chez le père (5 %) ou est en résidence alternée (7 %)12. En prenant en compte uniquement les dépenses de l’Aide sociale à l’enfance et celles liées aux décès des enfants, les coûts de l’incidence des violences au sein du couple sur les enfants sont évalués à 422 millions d’euros pour la société13. CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (14) PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

FOCUS Les femmes subissent les violences de manière disproportionnée par rapport aux hommes / En France, une femme sur dix se déclare victime de violences conjugales : physiques, sexuelles, verbales, psychologiques chaque année14. / En moyenne, chaque année, on estime que 213 000 femmes et 82 000 hommes âgé·es de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire ou ex-partenaire15. / Un meurtre sur cinq en France est le résultat de violences au sein du couple. En 2020, 102 femmes et 23 hommes ont été tué·es par leur partenaire ou ex-partenaire16. Ainsi, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son partenaire ou ex-partenaire et un homme tous les treize jours et demi. Les femmes représentent 77 % des victimes d’homicides17 au sein de couples. Les hommes tués par leur partenaire le sont souvent en réaction à des faits de violence de leur part : la moitié des hommes tués par leur (ex)partenaire en 2020 étaient également auteurs de violences18. La violence à l’égard des femmes est conséquente des inégalités femmes-hommes, selon la définition de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014 : « La violence à l’égard des femmes doit être comprise comme une violation des droits humains et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée. […] La violence à l’égard des femmes est une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation. »19 Ainsi, les violences faites aux femmes ne doivent pas être envisagées comme résultant de comportements délinquants individuels ou d’affaires interpersonnelles, mais bien comme un problème de société. LES MÉCANISMES DES VIOLENCES CONJUGALES Les violences conjugales sont marquées par une structuration asymétrique du couple, et donc par un pouvoir exercé de manière unilatérale, maintenant une structuration décisionnaire verticale et rigide où la négociation n’est pas possible. Alors que les conflits impliquent une réciprocité et une possibilité d’amélioration vers la fin de cette situation, les violences conjugales constituent une typologie relationnelle différente et non une forme exacerbée des conflits20. Les violences conjugales peuvent prendre alors différentes formes : physiques, sexuelles, psychologiques, économiques, administratives. CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (15) PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (16) Les violences conjugales sont caractérisées par quatre critères21: / L’emprise : le pouvoir de l’un sur l’autre : un des partenaires dans le couple domine la relation en gagnant et en ayant du pouvoir sur l’autre. La violence devient le moyen de l’affirmation du pouvoir. / L’intention : il existe une volonté d’emprise, de domination, de contrôle sur l’autre, ainsi l’agresseur met en place une stratégie et agit dans le cadre des violences conjugales pour maintenir cette situation. / La persistance : les violences conjugales s’installent dans la durée et se manifestent de manière répétée. Toute situation est prétexte à l’agression. / L’impact sur la victime : les violences conjugales et l’emprise conduisent à une multitude d’effets, comme la peur, la honte, la perte de l’estime de soi, la dépendance, la culpabilité. La victime adopte alors, par crainte des violences, des stratégies de protection, qui ne sont que très minoritairement une riposte physique puisque la relation est marquée par l’asymétrie et la non-réciprocité. PHASE 1 CLIMAT DE TENSION TENSION DE L'AGRESSEUR Par ses paroles et attitudes, il installe un climat de tension à la maison. Il prétexte systématiquement la prétendue incompétence de la victime. INSÉCURITÉ DE LA VICTIME Elle doute d'elle-même en permanence. Elle a peur de déplaire et de faire des erreurs. Elle est anxieuse et paralysée. PHASE 4 PROMESSES ET FAUSSES EXCUSES OPÉRATION SÉDUCTION PAR L'AGRESSEUR Il exprime des regrets et promet de ne pas recommencer. Il paraît affectueux et attentionné. ESPOIR DE LA VICTIME Elle croit que l'agresseur va changer, que cet épisode de violence est le dernier. PHASE 3 DÉNI ET JUSTIFICATION DÉNI DE L'AGRESSEUR Il minimise son comportement. Il se déresponsabilise et accuse sa victime. RESPONSABILISATION DE LA VICTIME Elle pense que si elle change, la violence va cesser. Plus le cycle se répète, plus la victime se perçoit comme incompétente et seule responsable de la violence de l'agresseur. PHASE 2 EXPLOSION ATTAQUE DE L'AGRESSEUR N'ayant pas obtenu les résultats attendus, il pose des actes de violence psychologique, verbale, physique... Il instaure la peur. SOUFFRANCE DE LA VICTIME Elle est humiliée, désespérée... Sa santé peut s'en ressentir. Modèle issu des travaux de l'Institut national de santé publique du Québec 22 PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (17) Ce modèle permet d’appréhender ce qui est difficile à comprendre de prime abord, à savoir pourquoi les victimes restent prisonnières de ces situations. La confiscation du pouvoir de décision et de l'autonomie dans de nombreux domaines rétrécit le champ d'action et réduit à l'extrême la liberté de la victime. Elle perd progressivement et inconsciemment sa capacité à résister et à se révolter. Dans une situation de conflits conjugaux, l’enfant peut être protégé·e lorsque ses parents sont amené·es à mettre leurs différends de côté. Or, les violences conjugales se basent sur des mécanismes de domination qui s’exercent dans la durée. L’exposition à ces violences ne conduit pas systématiquement à un danger physique, mais bien un danger plus subtil de violences psychologiques. Aujourd’hui, en dépit de la connaissance des impacts de l’exposition des enfants aux violences conjugales, leur statut de victime n’est pas reconnu. _ La Convention d’Istanbul, ratifiée par la France le 4 juillet 2014 et entrée en vigueur le 1er novembre 2014, stipule : « Reconnaissant que les enfants sont des victimes de la violence domestique, y compris en tant que témoins de violence au sein de la famille […] les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que, dans l’offre des services de protection et de soutien aux victimes, les droits et les besoins des enfants témoins de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention soient dûment pris en compte (article 26) ». _ Malgré le fait que l’exposition aux violences conjugales figure parmi la plupart des classifications des organismes en charge de l’évaluation du danger des enfants, elle n’est que très peu mentionnée dans les textes législatifs, mis à part au Québec, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Reconnaître le statut de victime de ces enfants permettrait de mieux organiser leur protection23. LES CONSÉQUENCES DES VIOLENCES CONJUGALES SUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT ET LES MODÈLES PARENTAUX Les retentissements sur l’enfant peuvent être multiples avec notamment des conséquences pour sa santé et des conséquences socio-comportementales ; celles-ci peuvent également rester masquées et resurgir ultérieurement. / Troubles somatiques, troubles émotionnels etpsychologiques : anxiété, angoisse, dépression, troubles du sommeil, de l'alimentation, syndrome de stress post-traumatique ; / Troubles du comportement : agressivité, violence, baisse des performances scolaires, désintérêt ou surinvestissement scolaire, fugue, délinquance, idées suicidaires, toxicomanie ; / Troubles de l'apprentissage, symptômes physiques (énurésie par exemple) et cognitifs ; / Une faible estime de soi, une image négative, font également partie des conséquences qui entacheront les relations adultes. PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (18) Les conséquences sont graves pour les enfants qui sont ciblé·es par les violences, ainsi que pour les enfants qui assistent aux violences subies par l’une de leur parent24. L’exposition à des violences engendre un stress préjudiciable à son bien-être comme à son développement cognitif et biaise son système de représentation des rapports entre les femmes et les hommes. L’impact est d’autant plus fort quand l’enfant est jeune, car il ou elle ne dispose pas des mécanismes de défense psychique pour y faire face. L’enfant prend appui sur ces figures asymétriques commemodèle d’identification : les deux figures d’attachement de l’enfant, le père comme la mère, ne sont pas sécurisantes. Plus l’enfant est grand·e, plus il ou elle peut acquérir des ressources pour se réfugier (dans sa chambre, par exemple), ou intervenir pour tenter de faire cesser la violence, ou encore faire appel à quelqu’un·e. Ces violences impactent leur scolarité et donc par conséquent leur future situation socio-professionnelle25. À l’âge adulte, il existe un risque aggravé de reproduction des violences ou de victimation, même si une telle reproduction de situations vécues dans l’enfance en tant que témoin ou victime n’a rien d’inéluctable, ni pour les garçons, ni pour les filles. L’enquête ENVEFF a ainsi montré que parmi les femmes qui avaient subi des violences dans leur enfance, environ une sur quatre se retrouvait plus tard en situation de violences conjugales. Il est souligné dans l’enquête ENVEFF que « ces atteintes graves peuvent produire une vulnérabilité sociale et relationnelle qui gravera durablement l’histoire de la vie de la personne »26. Les violences présentes dans la sphère conjugale contaminent aussi la sphère parentale. Ainsi, les enfants exposé·es aux violences conjugales sont souvent en grande souffrance et pleinement victimes de violences psychologiques. En France, malgré les conséquences graves de l’exposition des enfants aux violences conjugales, leur statut de victime n’est pas suffisamment reconnu par des dispositifs institutionnels et législatifs – c’est pourquoi il est nécessaire d’améliorer leur protection. PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (19) *SYMPTÔMES DU SYNDROME DE STRESS POST TRAUMATIQUE (SSTP) : - rejouer dans les jeux les comportements violents - trouble du sommeil (cauchemars, insomnie, trouble de l'endormissement) - trouble de l'attention et de la concentration - comportement régressif (sucer son pouce, demander à dormir accompagné, etc.) IMPACT DES VIOLENCES DANS LE COUPLE SUR LES ENFANTS ET ADOLESCENT·ES27 BÉBÉS - DE 3 ANS ENFANTS D'ÂGE PRÉSCOLAIRE CLASSES PRIMAIRES 5-12 ANS DÉBUT DE L'ADOLESCENCE 12-14 ANS FIN DE L'ADOLESCENCE 15-18 ANS Retard staturopondéral Actes d'agression Brutalité à l'égard des autres Violence à l'égard des personnes qu'elles et qu'ils fréquentent Inattention Dépendance Agressivité générale Brutalité Conduites à risques (abus d'alcool ou de drogues) Perturbation des habitudes alimentaires Anxiété Dépression Manque d'estime de soi Désertion du foyer Perturbation des habitudes de sommeil Cruauté envers les animaux Anxiété Problèmes somatiques Fugue Retards du développement Actes de destruction de biens Repli Suicide Symptômes du SSTP* Comportement oppositionnel Absentéisme scolaire Baisse soudaine des résultats Destruction de biens Baisse de la fréquentation scolaire Manque de respect à l'égard des femmes Convictions stéréotypées à l'égard du rôle des femmes et des hommes Mauvais résultats scolaires PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (20) L’impact des violences conjugales sur les compétences parentales D’après plusieurs études, entre 40 et 60 % des partenaires violents sont aussi des pères violents28. Également, l’un des principaux facteurs de risque d’agressions sexuelles de la part du père est la violence conjugale contre la mère29. Dans les situations où les enfants ne sont pas directement ciblé·es par l’auteur des violences, des études montrent que ces pères, exerçant des violences sur leur partenaire sont peu impliqués et peu empathiques vis-à-vis de leurs enfants. Leur faculté à tenir compte des besoins de leurs enfants et de les faire passer avant les leurs est largement restreinte30. Ils sont également plus susceptibles d’avoir recours à la force physique et verbale. Ils connaissent aussi une propension plus forte au dénigrement et à l’instrumentalisation de l’enfant. Enfin, ce mode parental est aussi marqué par la distance voire le rejet affectif, et l’impulsivité. En effet, les parents-auteurs ont tendance à se mettre rapidement en colère et font preuve d’un mode parental très autoritaire et coercitif31. Les auteurs de violences conjugales ont une tendance importante à justifier leurs actes de violence par le mauvais comportement de l’enfant, tout en culpabilisant et décrédibilisant la mère-victime sur sa compétence parentale, et procèdent donc à un renversement de la culpabilité. Les agresseurs peuvent avoir tendance à agir sous le coup de l’émotion, ​car ils sont dans l’incapacité à réguler leur état émotionnel, y compris dans leurs réactions face au comportement de l’enfant. 32. Par ailleurs, le parent-auteur de violences peut aussi adopter un comportement très différent en n’exerçant aucune discipline, et en étant très peu impliqué, voire permissif et négligent vis-à-vis de l’éducation de ses enfants33. D’après le 5ème Plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes 2017-2019 : « Les enfants témoins de violences sont des victimes. Assister aux violences commises par son père sur sa mère a des conséquences sur les enfants : en tant que témoins, ils [et elles] deviennent des victimes. Un mari violent n’est pas un bon père »34. La mère, en plus d’être sous emprise vis-à-vis de son partenaire dans la sphère conjugale, est aussi victime d’emprise parentale, c’est-à-dire que l’auteur des violences se sert de la parentalité comme terrain de prise de pouvoir sur elle. Il arrive qu’elle ne soit donc que partiellement disponible pour la protection de ses enfants et qu’elle ne connaisse qu’une capacité moindre à se protéger et à les protéger face à de nouveaux passages à l’acte sur elle-même ou sur eux. À cela il faut ajouter la diminution de l’estime de soi que l’auteur des violences conjugales lui impose, ainsi que la disqualification permanente dont elle est victime, et enfin, l’isolement qui l’empêche de compter sur de la famille ou des ami·es. L’auteur exerce une violence sur la victime en tant que femme, mais aussi directement sur la « dimension maternelle de sa partenaire »35 – ces actes de dénigrement pouvant également avoir lieu devant l’enfant, ils discréditent l’autorité maternelle. Certaines recherches montrent que les mères victimes de violences peuvent aussi adopter un mode éducatif comparable aux situations sans violences, voire de meilleure qualité. En effet, certaines mères violentées développeraient un surcroit d'attention et d’empathie envers leurs enfants pour les protéger, les soutenir et compenser ce qu'ils vivent. « Pour beaucoup de victimes, la séparation avec l’agresseur peut permettre une amélioration de leurs compétences parentales et de leur fonctionnement en général »36. PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (21) Réception par les enfants de ces modèles parentaux Les enfants ont différentes manières de réagir aux violences. L’enfant peut penser qu’en adoptant un comportement « parfait » aux yeux de son père, il va éviter la récidive des scènes de violences conjugales. Or, comme rien ne peut réellement les empêcher, l’enfant va vivre un constat d’échec qui engendre souvent un sentiment d’impuissance et également de culpabilité. Afin de se protéger psychologiquement, les enfants peuvent s’identifier à l’agresseur, en l’observant régulièrement avoir recours à la force ou aux menaces pour maintenir son contrôle, ce que l’enfant peut reproduire auprès de son entourage familial ou de ses pairs, et même auprès du parent-victime. L’enfant peut donc reproduire les mécanismes de l’agresseur, mais aussi être exposé·e à nouveau à ce modèle si le parent-auteur de violences reproduit ce schéma de violences conjugales avec une nouvelle compagne. Les enfants peuvent avoir le sentiment d’être à l’origine et responsables des violences conjugales37. Ils et elles peuvent aussi adopter une posture de protection envers le parent-victime ; plus il et elle grandit, plus le risque d’altercation physique avec le parent-auteur prend de l’ampleur. Dans cette posture, l’enfant perd sa place d’enfant, puisqu’à l’inverse c’est normalement aux parents de le protéger. L’indissociabilité de la conjugalité et de la parentalité Les violences dans le couple affectent simultanément les sphères conjugale et parentale. Les violences conjugales empêchent la négociation au sein de la parentalité, car le parent-auteur domine, manipule et instrumentalise également le lien parental38. Il est nécessaire de considérer la mère également comme une partenaire victime de violences conjugales en dehors de son statut de mère39, afin d’articuler cette position avec celle de la protection de son enfant. Il importe ainsi ne pas la rappeler uniquement à ses responsabilités parentales40, afin de prévenir un glissement automatique de femme-victime à mère-responsable et donc de ne pas caractériser la victime uniquement par son incapacité à se protéger et protéger ses enfants41. En effet en cas de violences conjugales du père, il arrive souvent que l’on reproche aux mères leur incapacité à protéger leurs enfants. On pointe alors leur participation passive, sans prendre en compte l’impact (temporaire) que les violences subies ont pu avoir sur leur capacité parentale. PARTIE 1 / INTRODUCTION : ENJEUX ET CONSTATS

RENFORCER LA SENSIBILISATION SOCIÉTALE SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS 2 RENFORCER LA SENSIBILISATION SOCIÉTALE SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS

2PARTIE 2 / RENFORCER LA SENSIBILISATION SOCIÉTALE SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS Bien que les violences conjugales soient de plus en plus reconnues comme un problème de société et soient de moins en moins cloisonnées dans la sphère privée (comme en atteste un nombre en progression de plaintes déposées pour ces faits par les victimes42), il est nécessaire de renforcer les campagnes de sensibilisation afin de faciliter une prise de conscience et la compréhension de l’ampleur et de la gravité de ces phénomènes. _ L’article 13 de la Convention d’Istanbul sur la sensibilisation, stipule : « Les Parties promeuvent ou conduisent, régulièrement et à tous les niveaux, des campagnes ou des programmes de sensibilisation y compris en coopération avec les institutions nationales des droits de l’Homme et les organes compétents en matière d’égalité, la société civile et les organisations non gouvernementales, notamment les organisations de femmes, le cas échéant, pour accroître la prise de conscience et la compréhension par le grand public des différentes manifestations de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention et leurs conséquences sur les enfants, et de la nécessité de les prévenir »43. _ INTÉGRER LA THÉMATIQUE DES ENFANTS CO-VICTIMES DANS LES CAMPAGNES DE SENSIBILISATION SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES Il est nécessaire de renforcer la visibilité des enfants dans les campagnes de sensibilisation sur les violences conjugales et expliciter les conséquences néfastes de ces violences sur les enfants co-victimes. Ces campagnes doivent désigner clairement l’auteur des violences et les victimes, les femmes et leurs enfants. CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (23)

PRÉVENIR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES PAR L'ÉDUCATION À L'ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES/FILLES-GARÇONS DÈS LE PLUS JEUNE ÂGE Les violences faites aux femmes prennent leur racine dans les inégalités structurelles entre les femmes et les hommes. Ainsi, pour agir en amont et prévenir les violences faites aux femmes, il est essentiel de renforcer l’éducation à l’égalité femmes-hommes/filles-garçons dès le plus jeune âge. Déconstruire les stéréotypes qui enferment les filles et les garçons dans des rôles limités, binaires et hiérarchisés permet d’ouvrir leur champ des possibles et de favoriser des rapports égalitaires, contribuant ainsi à éradiquer la domination et les violences d’un genre sur l’autre. Le travail avec les jeunes sur le respect, le consentement et l’égalité dans les relations amoureuses est un levier essentiel de la prévention des violences sexistes et sexuelles. _ L’article 14 de la Convention d’Istanbul sur la sensibilisation, stipule : « Les Parties entreprennent, le cas échéant, les actions nécessaires pour inclure dans les programmes d’étude officiels et à tous les niveaux d’enseignement du matériel d’enseignement sur des sujets tels que l’égalité entre les femmes et les hommes, les rôles non stéréotypés des genres, le respect mutuel, la résolution non violente des conflits dans les relations interpersonnelles, la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, et le droit à l’intégrité personnelle, adapté au stade de développement des apprenant[·e]s. Les Parties entreprennent les actions nécessaires pour promouvoir les principes mentionnés au paragraphe 1 dans les structures éducatives informelles ainsi que dans les structures sportives, culturelles et de loisirs, et les médias »44. _ PARTIE 2 / RENFORCER LA SENSIBILISATION SOCIÉTALE SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (24)

PARTIE 2 / RENFORCER LA SENSIBILISATION SOCIÉTALE SUR LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET LEURS CONSÉQUENCES SUR LES ENFANTS Ces sessions de sensibilisation à l’égalité femmeshommes/filles-garçons permettent également aux enfants qui ont assisté aux violences conjugales, de prévenir le développement de schémas mentaux basés sur des rapports de domination dans le couple. Le cadre existant en France sur l’éducation à l’égalité femmes-hommes/filles-garçons dans les établissements scolaires devrait être renforcé et inclure la thématique de prévention des violences faites aux femmes. Ces actions devraient être renforcées dans le cadre de l’application de la Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, dans le système éducatif45. Ces sessions de sensibilisation devraient concerner aussi bien les élèves que les équipes éducatives, afin de renforcer leurs compétences en matière d'éducation à l’égalité. Il serait pertinent de mobiliser dans ce cadre des associations expertes de la sensibilisation à l’égalité dès le plus jeune âge46. L’éducation à la sexualité dispensée dans le cadre scolaire, incluant l’objectif de présenter une vision égalitaire des femmes et des hommes, doit y inclure également la discussion sur les violences faites aux femmes en tant que violences sexistes découlant de rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes. _ L’article L312-16 du Code de l'éducation : « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène. Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain. Elles peuvent associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire et des personnels des établissements mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2212-4 du code de la santé publique ainsi que d'autres intervenants extérieurs conformément à l'article 9 du décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d'enseignement. Des élèves formés par un organisme agréé par le ministère de la santé peuvent également y être associés. » _ Il est important que ces dispositions législatives soient appliquées et que les chef·fes d’établissements organisent un minimum de trois séances annuelles d’éducation à la sexualité, intégrant la thématique des violences faites aux femmes47. Le 5ème Plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes 2017-2019 prévoit également de : « Sensibiliser les populations les plus jeunes aux violences faites aux femmes dans le cadre du parcours du citoyen notamment ».48 CENTRE HUBERTINE AUCLERT Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes (25)

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