18 19 Pour une éducation à l’égalité des genres / Guide de survie en milieu sexiste (Tome 1) préhistoire a ainsi acquis un statut de discipline scientifique, ses résultats pouvant être remis en cause par de nouvelles fouilles, découvertes ou analyses. Ce qui n’était pas le cas à ses débuts... Comment cette vision des rôles hommes-femmes à la Préhistoire a-t-elle été fondée et nous a été transmise? «L’histoire, c’est ce que font les historiens. » Antoine Prost B Le mot «Préhistoire» évoque immanquablement les mêmes clichés: des hommes, velus, vêtus de peaux de bêtes, qui font du feu avec des silex, chassent le mammouth et dont les femmes s’abritent dans des grottes avec les enfants. Cette vision de la Préhistoire a été modelée et définie par ceux qui la pratiquaient, c’est-à-dire par les premiers préhistoriens eux-mêmes: les préhistoriens, au masculin, car de préhistorienne, il n’en est pas question jusqu’à la fin du 20 e siècle, ni au cinéma, ni dans les manuels scolaires ou la littérature... dans une époque qui voit pourtant les droits des femmes s’affirmer. Par contre, il est intéressant d’analyser les préhistoriens les plus présents dans les manuels scolaires français jusqu’à la fin du 20 e siècle. Tout d’abord, l’un des fondateurs de la «science préhistorique» est Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), d’ailleurs appelé «le père de la préhistoire». Ensuite, Joseph-Henri Rosny (1856-1940) est le plus cité, ce qui est interpellant en soi, car Rosny est un romancier : auteur de «Vamireh» (écrit en 1892 et considéré comme le premier roman préhistorique) et surtout de «La Guerre du feu» (1909), immortalisé au cinéma en 1981 par Jean-Jacques Annaud. Il est étonnant que ce roman non seulement se soit perpétué jusqu’à nous, mais aussi qu’il ait été (et soit encore!) utilisé comme support dans l’enseignement, non pas en tant qu’œuvre de fiction, mais bien en tant que travail de vulgarisation scientifique! Troisième figure marquante de la préhistoire dans les manuels jusqu’en 1970, l’abbé Henri Breuil (1877-1961), surnommé «le pape de la préhistoire». Prêtre catholique, premier titulaire de la chaire de préhistoire au Collège de France, il est celui qui influença le plus la représentation de la préhistoire. Il imposa sa vision des rôles de l’homme (et de la femme) préhistorique, qui peut être questionnée, au regard des relations hommes-femmes de son époque... mais aussi de son parcours personnel et de ses croyances. «Fondateur, pape ou père...», le début de la préhistoire est donc une affaire d’hommes. Durant tout le 20 e siècle, dans les manuels scolaires, à la télévision (Yves Coppens B, le plus médiatique des préhistoriens, célèbre grâce à la découverte de l’Australopithèque Lucy en 1974), dans les romans (du «Monde perdu» d’Arthur Conan Doyle en 1921 au «Père de nos pères» de Bernard Werber en 1998) ou au cinéma (le célèbre «Jurassic Park» de Steven Spielberg en 1993), les préhistoriens présentés au public sont tous des hommes d’âge mûr. La préhistoire, science plutôt jeune, n’est pas une science de jeunes, ni de femmes. L’image du préhistorien illustre ainsi un stéréotype agissant dans notre société: la science est masculine, tout comme le savoir. Pourtant, les préhistoriennes ne manquent pas. Certaines participent à la rédaction de manuels scolaires, comme Brigitte Delluc ou Catherine Perlès, d’autres sont responsables de sites ou de musées, comme Dominique Baffier ou Anne-Élisabeth Riskine. Citons encore la paléontologue Marylène Patou-Mathis B, l’anthropologue Françoise Héritier B ou Claudine Cohen B, spécialiste de l’histoire de la paléontologie. Elles vont contribuer, avec d’autres chercheurs et chercheuses, à nuancer le portrait de l’homme et de la femme préhistoriques et à relativiser les conclusions des premiers préhistoriens. Que savons-nous exactement de la manière dont vivaient les êtres humains à la Préhistoire? «On ne dispose d’aucune donnée directe pour l’étude de ces rapports humains, qui n’ont laissé aucune trace. » - Alain Testart B Nous ne saurons probablement jamais comment les hommes et femmes vivaient à la Préhistoire et ce, pour au moins deux raisons, déjà évoquées: l’étude de la Préhistoire se base sur l’analyse de vestiges (il n’y a pas de témoignage écrits, par définition) et l’analyse de ces vestiges peut être sujette à interprétation. La «science préhistorique» est une discipline évolutive, dont les résultats peuvent constamment être relativisés et questionnés, voire infirmés, même si les marges d’erreur (de datation, d’identification…) s’amenuisent grandement grâce aux progrès technologiques et aux croisements interdisciplinaires.
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