Guide de survie en milieu sexiste

20 21 Pour une éducation à l’égalité des genres / Guide de survie en milieu sexiste (Tome 1) «Dès qu’une scène préhistorique est représentée, dans un film ou même à l’école, les hommes sont à la chasse et les femmes cuisinent. Nous n’avons aucune, je dis bien aucune, preuve archéologique pour décréter que les sociétés préhistoriques étaient organisées de la sorte. Les premiers anthropologues à s’être intéressés à la préhistoire sont nés au 19 e siècle en Occident. Ils ont calqué l’organisation de la société du 19 e sur la préhistoire. (…) Les grandes conclusions qu’on en tire dépendent d’un point de vue idéologique. Que vous vouliez en faire une lecture féministe ou une lecture machiste, vous y arriverez!». 1 - Marylène Patou-Mathis B Un exemple parmi d’autres pour illustrer l’impact de l’idéologie du préhistorien généraliste du 19 e siècle sur l’analyse de sa découverte: «La Dame Rouge de Paviland» (Pays de Galles). Il s’agit d’un squelette pratiquement complet, teint d’ocre rouge, découvert en 1823 par le géologue William Buckland (1784-1856). Celui-ci a identifié ces restes comme ceux d’une femme datant de l’époque romaine. En tant que créationniste (c’est-à-dire tenant de la théorie de l’origine des espèces animales et végétales selon laquelle chacune de celles-ci serait apparue brusquement, sans avoir d’ancêtres, par la volonté divine), Buckland ne pouvait concevoir que des restes humains puissent être antérieurs au déluge biblique, ce qui le conduisit à une sous-estimation importante de l’ancienneté de ce squelette. Buckland a également estimé qu’il s’agissait d’une femme à cause de la présence d’éléments décoratifs près du corps, dont des pendentifs en coquillages et des bijoux d’ivoire (qu’il pensait être d’éléphant et non pas de mammouth). Il a été établi depuis que le squelette était celui d’un jeune homme probablement âgé de moins de 21 ans et, en 2009, une datation par le carbone 14 a montré que le squelette datait du Paléolithique supérieur. Des recherches récentes viennent bousculer les représentations de la femme et de l’homme préhistoriques et de leurs rôles respectifs. Claudine Cohen B démonte les idées reçues sur la femme préhistorique dans son ouvrage «La Femme des origines, Images de la femme dans la préhistoire occidentale». La question de la place et du rôle de la femme est 1/ Rue 89/Le Nouvel Observateur, « Les hommes préhistoriques étaient-ils pères au foyer ? », 17 juin 2011. 2/ Le Nouvel Observateur, «Non, la femme de Cro-Magnon n’était pas qu’un objet sexuel... », 6 mars 2014. en effet longtemps restée marginale dans les recherches sur la préhistoire. «En France, c’est l’homme préhistorique, artisan, chasseur, artiste, conquérant, qui alimente les débats scientifiques dès le début du 19 e siècle.» Le squelette de Cro-Magnon a été découvert en 1868, à une époque où les sciences tentent de prendre du recul par rapport au récit biblique, mais restent soumises aux assignations propres à la société bourgeoise et patriarcale du 19 e siècle. «Cro-Magnon, c’est l’homme avec un grand H (…), l’homme moderne, très grand, robuste. La femme de Cro-Magnon, elle, est totalement occultée.» À partir du milieu du 20 e siècle, la science préhistorique évolue, mais reste influencée par les courants idéologiques de son époque. Les féministes s’emparent ainsi de la préhistoire en dénonçant l’andocentrisme qui la traverse et ouvrent ainsi la voie à de nouvelles recherches. «La célébrité de «Lucy» témoigne d’un intérêt nouveau pour l’existence des femmes à la Préhistoire. Il était temps, en effet, de donner une visibilité à cette moitié de l’humanité prétendument invisible aux archéologues.(…) Mais Lucy a ellemême été mise en avant comme une sorte d’icône féminine, à une époque où les féministes se battaient pour leurs droits et ancraient leur combat jusque dans le paléolithique.» Ce squelette découvert en 1974 par Yves Coppens B et baptisé Lucy devra-t-il un jour être rebaptisé Lucien? «Nous n’avons pas beaucoup d’éléments de comparaison et jusqu’à aujourd’hui, le dimorphisme sexuel de cette espèce reste discuté.» 2 Les auteures de la plupart des peintures rupestres seraient des femmes, selon l’archéologue Dean Snow B qui s’appuie sur des analyses réalisées dans huit grottes, au cours desquelles il a répertorié et comparé la forme des plus de trente «mains négatives» (principe du pochoir : une main appliquée sur la paroi de la grotte, un colorant soufflé ensuite sur la main pour en imprimer la marque). Pour identifier le sexe des auteur-e-s de ces mains négatives, Dean Snow B a eu recours à un logiciel, issu d’une collaboration entre le département des Sciences Informatiques et le département d’Anthropologie de l’Université de Pennsylvanie. Le principe de ce logiciel repose sur le fait qu’il existe des différences morphologiques caractéristiques entre les mains des hommes et celles des femmes (indice de Manning). Sur les 32 mains négatives analysées, 24 étaient des mains de femmes, soit 75%. Ces résultats remettent en question l’interprétation des peintures rupestres: celles-ci représentant souvent des animaux et des

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