Guide de survie en milieu sexiste

30 31 Pour une éducation à l’égalité des genres / Guide de survie en milieu sexiste (Tome 1) Le 18 e et le 19 e siècles sont marqués par la recherche scientifique d’une catégorisation des «races humaines». De nouvelles disciplines font leur apparition, ayant pour objet l’étude de l’être humain, de ses origines... et de sa classification. Les chercheurs (pas de chercheuses à l’époque) veulent consolider leurs théories par des critères observables et quantifiables. La couleur de la peau est l’un des critères retenus, mais il n’est pas le seul. L’ethnologie et l’anthropologie s’appuient à l’époque sur des méthodes de mesure qui donnent naissance à diverses sous-disciplines, aujourd’hui réfutées, pour établir des critères de comparaison des groupes humains, dans une perspective de hiérarchisation. La craniométrie, étude des mensurations des os du crâne, va être utilisée pour déterminer la race d’un individu… mais aussi pour mesurer le degré d’intelligence! Georges Cuvier (1769-1832) applique ainsi une méthode fondée sur la mesure de l’angle facial : le degré d’inclinaison du front indiquerait la place laissée libre au cerveau... et donc le potentiel cognitif. Cuvier représente la pensée scientifique dominante en France, teintée des préjugés racistes de l’époque. Il évoque une classification des races humaines par le «squelette de la tête» et une «loi cruelle qui semble avoir condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé». Dans ce contexte, il fait des recherches sur les Noirs africains qu’il tient pour «la plus dégradée des races humaines, (…) dont l’intelligence ne s’est élevée nulle part au point d’arriver à un gouvernement régulier.» 6 La société du 19e siècle est pétrie de préjugés racistes et sexistes, qui influencent l’interprétation des travaux autour du cerveau. Les chercheurs vont ainsi comparer la taille des cerveaux de différents individus et utiliser les mesures constatées pour justifier biologiquement les hiérarchies entre les sexes, les races et les classes. Et donner des preuves au déterminisme biologique. Par exemple, le fait que le cerveau de l’homme pèse 100gr de plus en moyenne que celui de la femme, fournit à des anthropologues comme Paul Broca (1824-1880) une «preuve objective» de l’infériorité intellectuelle de la femme: «La femme étant plus petite que l’homme, et le poids du cerveau variant avec la taille, on s’est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse de son corps. Pourtant il ne faut pas perdre de vue que la femme est en 6/ Cuvier Georges, «Recherches sur les ossements fossiles », Vol. 1, Deterville, Paris, 1812. «Les hémisphères cérébraux sont inter-connectés et travaillent rarement de façon isolée. Certes, il existe certaines tâches comme la reconnaissance d’un visage ou la lecture, pour lesquelles un hémisphère est dominant chez la plupart des individus, mais la plupart des tâches nécessitent le travail des deux hémisphères en parallèle. » - Lafortune B Stéphanie, «Méfiez-vous des neuromythes!», 2013 Comment le savons-nous (perspective historique)? Avoir une approche historique des recherches autour du cerveau permet d’appréhender le contexte social, politique et culturel dans lequel évoluent les sciences et éclaire l’interprétation des résultats de ces recherches. Les avis se sont longtemps opposés pour savoir qui du cerveau ou du cœur était «le siège de l’âme». Pendant plusieurs millénaires, on a cru que l’activité mentale naissait dans le cœur. Au 4 e siècle avant notre ère, le philosophe grec Aristote affirme ainsi que l’esprit réside dans le cœur et que le cerveau, organe de refroidissement, sert à assurer la circulation du sang, au contraire d’Hippocrate pour qui déjà pensées et sentiments sont gouvernés par le cerveau. Des siècles plus tard, Galien (129-216) élabore de nouvelles théories sur le fonctionnement du cerveau. Il entreprend un long travail pour démontrer que tous les muscles du corps sont connectés au cerveau par un réseau de nerfs. Toutefois, le droit romain interdisant la dissection et l’autopsie du corps humain, Galien ne peut effectuer ses recherches que sur des primates, supposant que leur anatomie est proche de celle de l’être humain. Ses théories vont longtemps dominer la médecine et il faudra attendre le 16 e siècle et André Vésale (1514-1564) pour de nouvelles avancées. Considéré comme le plus grand anatomiste de la Renaissance, Vésale procède à de nombreuses dissections et entreprend la rédaction d’un traité d’anatomie qui va corriger plus de deux cents erreurs de Galien. Au 17 e siècle, Thomas Willis (1621-1675), souvent considéré comme le précurseur des neurosciences modernes, centre ses recherches sur le lien entre cerveau et esprit. Il est le premier à situer la pensée dans le cortex cérébral, confirmant que le cerveau est le centre actif de toute connaissance et de toute émotion.

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