Guide de survie en milieu sexiste

58 59 Pour une éducation à l’égalité des genres / Guide de survie en milieu sexiste (Tome 1) 47/ Charles Darwin, «L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux », 1872. 48/ Cova AnneB, «Où en est l’histoire de la maternité ? », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 21, 2005. 49/ Kinsley C. Lambert K, «L’instinct maternel niché dans le cerveau», Pour la science, 340, février 2006. 50/ Blaffer Hrdy SarahB, «Les Instincts maternels », Payot, 2004. 51/ Badinter ElisabethB, «Le conflit. La femme et la mère », Flammarion, 2010. Déconstruire le mythe Questions à se poser: - Existe-t-il un instinct maternel chez les êtres humains? - Quelle est l’évolution de la notion de «maternité»? Existe-t-il un instinct maternel chez les êtres humains? Au 19 e siècle, avec d’autres scientifiques, Charles Darwin exprime, suite à ses observations du monde animal, la conviction de l’existence d’un instinct de protection des mères vis-à-vis de leur progéniture. «Lorsqu’on lit les exemples touchants d’affection maternelle, rapportés si souvent au sujet des femmes de toutes les nations et des femelles de tous les animaux, comment douter que le mobile de l’action ne soit le même dans les deux cas?» Darwin évoque le chagrin des guenons lorsqu’elles perdent leur bébé ou le zèle qu’elles mettent parfois dans l’adoption de petits singes orphelins: «Une femelle babouin avait un cœur si grand qu’elle adoptait non seulement les jeunes singes d’autres espèces, mais volait aussi de jeunes chiens et chats, qu’elle emportait partout avec elle» 47 Comparant les comportements des mères de nombreuses espèces, Darwin en conclut que l’affection maternelle fait partie des instincts sociaux les plus puissants et qu’elle pousse les mères, tant animales qu’humaines, à nourrir, laver, consoler et défendre leurs petits. Cette théorie de l’instinct maternel connaît un grand succès, à une époque où le thème de la «dépopulation» devient une préoccupation récurrente des responsables politiques européens. En France, sous la III e République (1870-1940), certains parlementaires réclament, par exemple, une protection de la maternité et des associations de femmes revendiquent des mesures en faveur des mères, tandis que de nombreux manuels de piété destinés aux femmes chrétiennes évoquent leurs «missions sociales», dont la maternité 48. Voici donc planté le décor historique et politique de la naissance de l’expression «instinct maternel». Mais au-delà de ces éléments contextuels, la question demeure: existe-t-il des incitants physiologiques pour que la mère humaine s’occupe de son enfant? Pour certain-e-s, l’apparition d’une forme d’amour maternel dépendrait des concentrations d’hormones durant la grossesse et après la naissance 49. C’est le propos de la primatologue américaine Sarah Blaffer HrdyB : son livre «Mother Nature. A History of Mothers, Infants and Natural Selection» (1999) connaît un grand retentissement médiatique à la fin du 20 e siècle et contribue à répandre, à l’époque, la théorie de l’importance du rôle des instincts dans les comportements maternels humains. Sarah Blaffer HrdyB est sociobiologiste (la sociobiologie attribue les comportements sociaux à certains dispositifs biologiques des espèces animales, y compris pour l’être humain) et, comme Charles Darwin, ses théories sont basées sur l’éthologie, c’est-à-dire la science des comportements des espèces animales. Comparant les comportements maternels des rongeurs, des primates et des femmes, elle affirme dans son ouvrage qu’il existe des dispositifs biologiques intrinsèques qui participent de l’attachement d’une mère à son petit. Elle évoque l’existence, chez les mammifères, d’une zone spécifique du cerveau située dans l’hypothalamus, qui stimulerait les comportements d’élevage. Cette zone cérébrale est sous la dépendance d’une famille de gènes appelés «C-Fos». C’est l’odeur des petits qui en déclencherait l’activation, participant à la production d’hormones stimulant la réaction maternelle. Un autre mécanisme déclencheur du comportement maternel proviendrait de la prolactine, hormone qui produit la lactation. La montée de lait déclencherait chez les jeunes mères des envies maternantes.50 «Les années soixante-dix virent se placer la pédiatrie américaine à l’avant-garde de ce mouvement qui continue encore aujourd’hui à faire des adeptes en Europe. Ils s’appuyèrent principalement sur l’éthologie pour rappeler aux femmes qu’elles étaient des mammifères comme les autres, dotées des mêmes hormones du maternage : l’ocytocine et la prolactine. En conséquence, (…), elles doivent nouer avec leur bébé un lien (...) par l’action d’un processus neuro-biologico-chimique. Si tel n’est pas le cas, il faut s’en prendre à l’environnement ou s’inquiéter de déviations psychopathologiques. » 51 - Elisabeth Badinter B

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