Guide de survie en milieu sexiste

64 65 Pour une éducation à l’égalité des genres / Guide de survie en milieu sexiste (Tome 1) 61/ Badinter ÉlisabethB, «L’Amour en plus : histoire de l’amour maternel (17e au 20e siècle) », Livre de Poche, 2001. 62/ John BoswellB («The Abandonment of Children and the Ancient and Medieval Family », The American Historical Review. Vol. 89, Oxford University Press, 1984. 63/ Cova AnneB, «Où en est l’histoire de la maternité ? », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 21, 2005. 64/ Pierre Roussel, « Système physique et moral de la femme », 1775. 65/ «L’Encyclopédie » (ou «Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers »), sous la direction de Diderot et D’Alambert, 1751-1772. 66/ Knibiehler YvonneB, «Histoire des mères et de la maternité en Occident », PUF, 2012. Pour Elisabeth BadinterB, l’amour maternel est profondément influencé par le poids des cultures 61. Se basant sur différents travaux autour de l’histoire de l’enfance, elle démontre que le concept d’amour maternel est une idée relativement neuve en Occident, datant de la fin du 18e siècle. Auparavant, du fait du nombre d’enfants qui mouraient en bas âge, des contraintes économiques et du peu de considération que l’on portait aux enfants en général et aux nourrissons en particulier (considérés comme des ébauches d’êtres humains, dépourvus d’intelligence, de sentiments, voire de ressentis), l’attachement à ses enfants n’était pas la norme. Le nombre d’enfants laissés en nourrice, vendus ou abandonnés, prouve que beaucoup de parents (et de mères) n’étaient pas attaché-e-s à leurs enfants. L’historien John BoswellB a rassemblé des données sur les abandons en Europe de la fin de l’Antiquité à la Renaissance 62. Ces données ont montré que, dans les trois premiers siècles de notre ère à Rome, le taux d’abandon était de l’ordre de 20 à 40% des enfants nés vivants! Plus tard, vers 1640, 22% des enfants baptisés à Florence étaient des enfants abandonnés, tandis qu’en Toscane, ils représentaient 10% des naissances. «Pratique ancienne et répandue dans de nombreux pays, la mise en nourrice atteint en France, au 19 e siècle, des sommets nulle part égalés en Europe. Une question attenante à la mise en nourrice est celle de l’abandon des enfants, qui concerne en moyenne environ 25000 enfants par an en France, au 19 e siècle: les mères sont urbaines, souvent célibataires, âgées en moyenne d’une vingtaine d’années et, dans près d’un tiers des cas, domestiques. Abandons et mises en nourrices s’amenuisent à la fin du 19 e siècle, pour devenir rares au 20 e siècle. Plus précisément, la mise en nourrice diminue avec la loi Roussel, la pasteurisation du lait et l’augmentation des crèches, mais reste une alternative qui perdure jusqu’au grand déclin, après 1914.» 63 - Cova AnneB À partir du 18e siècle, la femme reste subordonnée à l’homme, mais la maternité commence à être valorisée à différents niveaux. Sur le plan biologique, le corps des femmes, «berceau de la vie», devient de plus en plus protégé et surveillé par les médecins. Sur le plan psychologique, l’amour maternel est érigé en valeur universelle indispensable à une société heureuse. Enfin, sur le plan social, la compassion maternelle est extrêmement valorisée: la maternité devient l’un des symboles de la solidarité nationale! Ainsi, en 1775, l’ouvrage «Système physique et moral de la femme» du médecin Pierre Roussel connaît un énorme succès 64. Le système dont il est question consiste à mettre en lien le corps et l’âme de la femme au départ de sa morphologie: c’est le déterminisme biologique dans toute sa puissance démonstrative. L’anatomie féminine est présentée comme faible (petits os spongieux, cage thoracique plus étroite qui autorise moins d’efforts physiques, bassin large qui gêne la marche…) : la femme est prédestinée par nature à la passivité et la procréation. Le corps mou se déforme selon les nécessités de la reproduction, le bassin peut contenir le fœtus: «Tous ces faits prouvent que la destination de la femme est d’avoir des enfants et de les nourrir» 65. «Au cours du 18 e siècle, l’influence de l’Église décline sous l’effet d’une sécularisation générale des idées et des mœurs. La philosophie des Lumières met en question toutes les traditions, toutes les hiérarchies, et s’efforce de penser une nouvelle société: elle investit fortement la maternité, pour la placer au service de l’enfant, avenir du monde. La femme, toujours subordonnée à l’homme, est alors valorisée comme mère. (…) L’amour maternel émerge comme valeur fondamentale de la nouvelle société. (…) La glorification de la maternité s’impose durant tout le 19 e siècle et la première moitié du 20 e. C’est une forme nouvelle, débonnaire, paternaliste, du patriarcat.» 66 - Yvonne KnibiehlerB Cette mise en avant du rôle de mère coïncide, comme expliqué précédemment, avec une situation démographique européenne où la dépopulation croissante préoccupe les responsables politiques. En 1896, la publication des résultats du recensement en France montre que le renouvellement des générations n’a pas été assuré depuis 1890. La même année se crée «L’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française», représentant actif du mouvement nataliste, qui marque les débuts d’une

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