Guide de survie aux soupers de famille thématique : Féminisme
2 EN introduction Je travaille chez Oxfam-Québec depuis 2017. Je suis féministe et j’ai la chance de travailler avec d’autres personnes féministes passionnées, intelligentes et engagées. Et si, dans mon milieu de travail, c’est plutôt agréable de travailler avec des personnes qui partagent mon indignation et ma volonté de changement, je sais très bien que ce n’est pas la même chose à l’extérieur de nos murs. Que vous vous décriviez comme féministe ou non, peu importe votre genre, vous avez sûrement déjà été sans mots devant une réplique malaisante sur l’égalité entre les femmes et les hommes… par exemple dans un souper de famille. Je ne me rappelle pas le moment où je suis devenue féministe, mais je me rappelle que je ne l’ai pas toujours été. En toute honnêteté, j’ai peut-être déjà été cette cousine qui lâche un commentaire un peu à côté. Et quand j’y repense, c’était simplement par ignorance. Parce qu’on a pris le temps de défaire certains préjugés et mythes que j’avais, aujourd’hui, je participe fièrement à la rédaction de ce guide. C’est aussi la raison d’être de ce guide : pour vous aider dans ces conversations difficiles qui nous mettent mal à l’aise. Nous vous présenterons sept questions, mythes et idées préconçues souvent entendus et nous proposerons des pistes de réponse, statistiques à l’appui, pour vous aider à y répondre. Et si c’est trop lourd, que vous avez l’impression d’éprouver du mépris, de l’arrogance ou même de la violence de la part de votre interlocuteur, on vous conseille ce petit guide très bien fait! Virginie Gagnon
3 Table des matières 1 7 3 5 2 4 6 Pourquoi parle-t-on encore de féminisme? La situation est pire ailleurs, alors de quoi se plaignent les féministes ici? Si les femmes gagnent moins que les hommes, c’est leur choix. SI Les femmes passent plus de temps à faire des tâches ménagères parce qu’elles aiment ça! Depuis la préhistoire, les femmes s’occupent des enfants. Le féminisme prend tellement d’ampleur que parfois je me sens discriminé en tant qu’homme. Pourquoi est-ce qu’on ne peut plus faire de compliments à une femme? 5 6 9 12 13 14 17 19 POUR CONCLURE : comment être un ou une allié.e
Oxfam-Québec et l’égalité femmes-hommes Oxfam-Québec est un des membres de la grande confédération Oxfam. Notre mission est de lutter contre la pauvreté et les inégalités partout dans le monde. Et pour y arriver, nous plaçons la justice de genre au centre de tout ce que nous faisons. Par des projets concrets, durables et porteurs, mais également des changements de normes sociales, de politiques et de lois, et avec le soutien de nos membres, nous contribuons à faire de l’égalité entre les genres une réalité. 4
5 7 mythes et idées préconçues sur la justice de genre (et leurs réponses!) 1 Au Québec, je ne vois pas de différence entre les femmes et les hommes, alors pourquoi parle-t-on encore de féminisme? Les gains qui ont été obtenus au Québec, et partout dans le monde, sont impressionnants. Imaginez la vie de n’importe quelle femme de votre entourage si des femmes n’avaient pas pris la parole, marché dans les rues et réclamé des droits égaux à ceux des hommes. Au Canada, en 150 ans environ, les femmes blanches1 ont eu le droit de voter, d’accéder à des études supérieures, de travailler légalement, de divorcer, de se présenter comme députée et d’avoir accès à la propriété. Légalement, tout semble à peu près égal pour les femmes et les hommes, au Canada du moins. Alors où est le problème? Des barrières, formelles et informelles, font en sorte que les femmes continuent d’être désavantagées dans notre société. Voici quelques exemples : A u Canada, en 2018, les femmes gagnaient toujours 87 sous pour chaque dollar gagné par un homme2. E n 2019, les femmes n’occupaient que 24,9 % des postes de direction des entreprises dans le grand Montréal3. A u Canada, un peu moins d’un siège sur les cinq conseils d’administration est occupé par une femme4. A u Québec, le quart des crimes dénoncés contre une personne sont commis dans un contexte de violence conjugale (et les femmes sont les victimes dans 78 % des cas)5. A u Canada, seulement une femme sur trois affirme se sentir en sécurité lorsqu’elle marche seule dans son voisinage à la noirceur (comparativement à 2/3 des hommes)6.
6 2 De quoi les féministes au Québec se plaignent-elles? Leur souffrance n’est rien comparée à celle des femmes dans d’autres pays. Des politiques publiques qui donnent des résultats! Une amie découragée vous dit que ces statistiques sont une fatalité? Au contraire! Des politiques publiques ambitieuses peuvent faire changer les chiffres. Un exemple : le Québec peut se vanter d’avoir un large réseau de centres de la petite enfance (CPE). Et, « comme par hasard », après les provinces maritimes, le Québec est la province où le taux d’emploi des femmes est le plus élevé et où l’écart salarial entre les femmes et les hommes est le moins important9. Coïncidence? Pas du tout : l’accessibilité des services de garde au Québec et le taux d’emploi des femmes seraient liés10. Comme quoi, quand on veut, on peut! C’est sans compter que certains groupes de femmes sont particulièrement défavorisés dans notre société. Citons, à titre d’exemple, le fait que les femmes autochtones représentent 16 % des femmes assassinées au pays (alors qu’elles ne représentent que 4 % de la population)7 ou le fait que la pauvreté touche de façon disproportionnée les femmes immigrantes ou issues de minorités visibles8. On est parfaitement d’accord : c’est au niveau global qu’il y a le plus de pain sur la planche! Voici quelques exemples : L es femmes représentent les 2/3 des adultes analphabètes dans le monde, une proportion qui n’a pas bougé depuis deux décennies11. 1 6 millions de filles âgées de 6 à 11 ans n’iront jamais à l’école, soit le double du nombre de garçons en passant12. 2 ,7 milliards de femmes rencontrent des barrières légales à l’emploi et dans 18 pays, les maris peuvent encore empêcher légalement leur conjointe ou épouse de travailler13. U ne femme sur trois sera victime de violence, souvent de la part d’une personne de son entourage14. E n ne permettant pas aux femmes de jouer le même rôle que les hommes sur le marché du travail, on prive l’économie mondiale de 28 trillions de dollars15. Oui, vous avez bien lu, des trillions (un trillion, ça, c’est un million de millions!). Mais, ce n’est pas parce que c’est moins rose ailleurs qu’il faut se taire ici. Au contraire : l’expérience du Québec nous montre que c’est lorsqu’on ose parler, marcher, revendiquer et critiquer qu’on peut espérer atteindre l’égalité entre les genres.
7 De plus, ces gains font en sorte que les Québécoises sont en meilleure posture pour défendre l’égalité entre les genres. Le fait d’être éduquées, d’avoir un travail et un revenu, et de subir en moins grande proportion de la violence, octroie à certaines femmes au Québec des privilèges. Nous disons certaines, car il ne faut pas oublier que d’autres Québécoises, notamment des femmes racisées ou issues de l’immigration, ne jouissent pas de ces mêmes privilèges. La lutte pour l’égalité entre les genres est à la fois globale et locale. Elle est locale, parce chaque femme, selon sa situation, vit cette discrimination différemment. C’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité (voir l’encadré). Mais elle est également globale, parce que les discriminations que vivent les femmes, peu importe où elles se trouvent, ont la même source, soit le système patriarcal. En se battant pour l’égalité entre les genres, on se bat pour toutes les femmes. Et lorsqu’on possède des privilèges, comme nous Québécoises et Québécois, il faut les utiliser pour sensibiliser, lutter et faire entendre la voix des femmes qui n’ont pas les mêmes avantages. Intersectionnalité Un terme pas facile, mais pourtant assez simple à comprendre. Pour vous l’expliquer, voici une petite définition tirée de la Gazette des femmes16 : « Cette approche prend en considération les liens qui s’établissent entre les différentes formes d’oppression : sexisme, racisme, patriarcat, colonialisme… Par exemple, une femme noire, pauvre et handicapée subira de la discrimination différemment d’un homme blanc gai au salaire dans les six chiffres. La combinaison des formes d’oppression engendre un vécu propre à chaque personne. C’est sur les recoupements (ou « intersections ») entre chacune des formes que se penche l’intersectionnalité. »
8 La petite histoire de... bell hooks17 BELL HOOKS (NOM DE PLUME DE GLORIA WATKINS) EST CONSIDÉRÉE COMME LA PREMIÈRE À AVOIR POSÉ LES JALONS DE CE QUI DEVIENDRA L’INTERSECTIONNALITÉ. Dans son livre « Ain’t I a woman : Black Women and Feminism » (titre emprunté au discours de Sojourner Truth en 1851, une abolitionniste et militante des droits des femmes), elle s’intéresse à l’histoire des femmes noires et explique comment couleur et genre ne peuvent être dissociés de notre identité. Elle choisit le nom bell hooks en l’honneur de sa grand-mère, Bell Blair Hooks et utilise les minuscules pour attirer l’attention sur son message plutôt que sur elle.
9 3 Si les femmes gagnent moins que les hommes, c’est Parce qu’elles choisissent des métiers qui paient moins cher. C’est leur choix, alors pourquoi est-ce qu’on devrait changer ça? Clarifions d’emblée quelque chose : ce n’est pas seulement le choix de carrière qui fait en sorte que les femmes gagnent moins. À travail égal, les femmes gagnent moins que leurs homologues masculins18. En plus, elles sont également plus représentées dans les emplois à temps partiel19. Mais revenons à la question du choix de carrière. Et demandons-nous d’abord ce qui motive notre choix de carrière. Nos intérêts? Nos compétences (ou la perception que l’on a de ces compétences)? Les attentes de la société envers notre rôle? Probablement une combinaison de toutes ces réponses. Dans tous les cas, c’est notre socialisation qui façonnera nos intérêts, nos compétences et la façon dont nous percevons notre place. Et cette éducation, elle est genrée. Dès notre tendre enfance, les études montrent que notre entourage tend à encourager les comportements conformes à notre genre20. Concrètement, on encourage l’intérêt d’un garçon pour les camions, le sport ou la construction, mais on ignore ou même décourage son intérêt pour les poupées ou la cuisinette. Inversement, on valorise la coquetterie d’une fille ou son intérêt pour les bébés ou les arts plastiques. Chaque enfant développera donc un intérêt et une plus grande compétence pour certains domaines selon son genre. De plus, peu importe notre intérêt ou notre expérience, la société a également une perception différente des compétences des enfants dans un domaine selon qu’ils sont fille ou garçon. Par exemple, une étude au Québec a démontré que les enseignantes et les enseignants anticipaient des différences de performance selon le sexe, s’attendant à ce que les filles performent mieux en français et les garçons en mathématiques21. On va donc renforcer différemment les performances des garçons et des filles dans ces domaines. Rien de surprenant par la suite que les filles se perçoivent moins bonnes en mathématiques et les garçons moins bons en français22. Et, de façon générale, les femmes se perçoivent moins bonnes dans des domaines traditionnellement masculins23. Alors, quand vient le temps de faire son « choix » de carrière, filles comme garçons choisiront des domaines dans lesquels elles ou ils se sentent compétent.e.s, valorisé.e.s et encouragé.e.s.
10 Finalement, il ne faut pas oublier que les femmes portent un plus grand fardeau de responsabilités familiales (voir question suivante). Savoir que la responsabilité d’aller chercher les enfants à l’école, aller avec eux chez le médecin ou rester avec eux lorsqu’ils sont malades ou encore prendre soin d’un aîné nous incombe en grande partie fait en sorte que nous faisons des choix de carrière différents. Les femmes, surtout les mères, auront donc tendance à choisir des métiers dont les horaires sont prévisibles ou flexibles, offrent des jours de congé ou permettent de travailler moins d’heures. Le fait que les femmes ont une plus grande part de responsabilités familiales explique aussi en partie pourquoi elles sont surreprésentées dans les emplois à temps partiels, lesquels leur permettent souvent de concilier plus facilement famille et travail. Et pourquoi les femmes sont-elles payées moins cher dans un même domaine? Tout d’abord, si la compétence (ou l’incompétence) des femmes est renforcée dans certains domaines dès la tendre enfance, les femmes qui choisissent des métiers traditionnellement masculins peuvent souffrir de ce syndrome d’imposteur et intérioriser l’idée qu’elles sont moins compétentes que leurs collègues masculins. Les femmes auraient également moins confiance en leurs capacités pour accomplir des gestes liés au pouvoir, comme exprimer leurs idées en public ou demander une augmentation de salaire24. Finalement, les femmes portent un plus grand fardeau des responsabilités familiales, ce qui peut les freiner quand vient le temps de demander une promotion ou d’accepter de plus grandes responsabilités.
11 On entend souvent parler d’hommes entrepreneurs dans l’histoire du Québec, mais il existe de nombreuses femmes qui ont bâti des entreprises et dirigé des organisations, dont certaines existent encore aujourd’hui. En voici quelques-unes25 : JEANNE MANCE (1606-1673) Co-fondatrice de Montréal, elle gère les finances de la colonie et dirige l’Hôtel-Dieu. IDA STEINBERG (1885-1942) Avant de devenir un empire de 115 supermarchés, la première épicerie Steinberg a été fondée par Ida Steinberg, d’origine hongroise, sur la Main. LÉA ROBACK (1871-1949) Syndicaliste infatigable, elle réussit à négocier le premier contrat de travail des ouvrières du vêtement. LUDMILLA CHIRIAEFF (1924-1996) D’origine allemande, elle est la fondatrice des Grands Ballets Canadiens et a formé plusieurs générations de danseuses et de danseurs. Oui, Desjardins comme dans Caisse populaire Desjardins! Pendant que son mari est traducteur à Ottawa, elle gère les affaires de la première caisse depuis sa cuisine à Lévis! DORIMÈNE DESJARDINS (1858-1932) Première femme présidente du conseil d’administration d’une banque, la Banque Laurentienne. JEANNINE GUILLEVIN-WOOD (1858-1932) Durant l’année 1950, elle dirigeait le quotidien La Presse. ANGÉLINA BERTHIAUME-DUTREMBLAY (1886-1976)
12 4 Si les femmes passent plus de temps à faire des tâches non rémunérées, c’est parce qu’elles aiment ça! S’il est vrai que les femmes, ici comme ailleurs, passent plus de temps à faire des tâches de soin non rémunérées (s’occuper des enfants, cuisiner, faire le ménage, s’occuper des aînés dans leur famille), ce n’est généralement pas par plaisir : entre une bonne série Netflix et récurer le bol de toilette, personne ne choisit la deuxième option… Au Québec, les femmes déclarent passer 3,7 heures par jour à effectuer des activités domestiques contre 2,5 heures par jour pour les hommes, soit 48 % de plus26. Et dans le monde, plus des trois quarts des heures de travail de soin non rémunérées sont effectuées par des femmes27. L’impact de tout ça? Nous avons toutes et tous 24 heures dans une journée. Passer plus de temps à faire du travail de soin non rémunéré signifie que ce sont des heures que nous ne passons pas à faire autre chose comme travailler, étudier, développer d’autres compétences ou encore tout simplement prendre soin de soimême. Aujourd’hui, au Québec, où les femmes ont un taux d’emploi pratiquement identique à celui des hommes, comment se fait-il qu’elles se retrouvent à effectuer plus de travail de soin? Encore une fois, l’éducation genrée peut nous offrir une piste de réponse. Ainsi, la plupart des attentes liées aux responsabilités familiales sont elles aussi genrées, c’est-à-dire qu’encore aujourd’hui, on attribue la valorisation pour une maison propre ou des enfants « bien élevés » à une femme28. Et, inversement, au regard de la société, c’est la femme qui sera « dévalorisée » si la maison n’est pas bien tenue ou si les enfants sont turbulents. Il ne faut pas oublier que les stéréotypes et les biais inconscients proviennent des femmes comme des hommes! Si les femmes se perçoivent moins compétentes pour réaliser certaines tâches « masculines », les hommes se perçoivent eux aussi moins compétents pour réaliser certaines tâches « féminines » et vont donc préférer ne pas les faire. Et, inversement, les femmes perçoivent elles aussi les hommes comme moins compétents pour les faire et vont parfois préférer les faire elles-mêmes. Finalement, il faut noter que le fait de faire plus de travail de soin non rémunéré a un impact sur le choix de carrière et la rémunération des femmes. Si les femmes se dirigent dans des métiers à temps partiel ou tendent à occuper des postes à des échelons inférieurs dans des domaines traditionnellement masculins, c’est également parce qu’elles portent un plus grand fardeau de responsabilités familiales.
13 Partout dans le monde, la pandémie de coronavirus a accentué la charge de travail de soin non rémunéré pour les femmes. De plus, certaines femmes ont dû quitter leur emploi pour faire face à cette augmentation des responsabilités. Pour en savoir plus sur la façon dont la pandémie a creusé les inégalités dans le monde, notamment les inégalités entre les femmes et les hommes, consultez le rapport Le virus des inégalités. SAVIEZ-VOUS QUE ? 5 Depuis la préhistoire, les femmes se sont toujours occupées des enfants. Pourquoi essayer de changer la biologie? L’argument de la femme et de l’homme des cavernes est un peu réducteur! Vous en connaissez beaucoup, vous, des hommes dont l’activité principale est la chasse? Il est vrai qu’à une certaine époque on ne vivait pas très longtemps et les femmes enchaînaient les grossesses (pensons à nos arrière-grand-mères), alors le gros de leurs activités tournait autour de la maternité. Le fait que la principale activité des femmes était liée aux enfants a fait en sorte que certains ont conclu que c’était la seule tâche dont les femmes étaient capables de s’occuper29, ce qui est évidemment faux! Aujourd’hui, la vie des femmes est bien différente (et celle des hommes aussi!). Au Canada, les femmes auront en moyenne 1,47 enfants30. Certaines feront le choix de ne pas en avoir. Et nous vivons plus longtemps. Donc, sur la vie d’une femme, les grossesses n’occuperont généralement qu’une petite partie (ou pas du tout si elle n‘a pas d‘enfants!). Un autre argument souvent avancé pour consacrer le rôle de la femme auprès des enfants est que son cerveau serait différent de celui de l’homme, qu’elle serait naturellement plus empathique ou douce. Donc, quand vient le temps de décider qui devrait rester à la maison avec le bébé, mais aussi accompagner l’enfant chez le médecin, lui donner son bain, cuisiner ses repas et pourquoi pas, faire le ménage, elle serait meilleure qu’un homme.
14 Cette idée d’un cerveau de femme et d’un cerveau d’homme a été démentie par plusieurs études. Plutôt, on a démontré la plasticité du cerveau : c’est-à-dire que ce sont nos expériences, notre éducation et nos interactions sociales qui forgent nos intérêts et nos compétences31. D’autres études ont également montré que les différences entre les cerveaux de deux personnes sont très différentes, peu importe leur sexe. Autrement dit, il peut y avoir plus de ressemblances entre le cerveau d’une femme et d’un homme qu’entre le cerveau de deux femmes32. Alors, faire le ménage et s’occuper des enfants, ce n’est pas inné… ce sont des compétences apprises et tout le monde, homme comme femme, peut les acquérir! Y a-t-il vraiment un cerveau de femme et un cerveau d’homme? En recensant des dizaines d’études sur le sujet, ce court ouvrage nous montre que les différences souvent évoquées entre les femmes et les hommes relèvent plus du préjugé que de la science. Cerveau, hormones et sexe : des différences en question. Sous la direction de Louise Cosette. Éditions du remue-ménage. 2012. POUR ALLER PLUS LOIN 6 Le féminisme prend tellement d’ampleur que parfois je me sens discriminé en tant qu’homme là-dedans. Précisons une chose : le féminisme a pour objectif l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères (politique, économique, juridique, sociale, culturelle, etc.). Ce n’est pas un mouvement contre les hommes, mais bien un mouvement pour l’égalité des droits. On souhaite vivre dans une société où notre sexe ou notre genre ne limitera pas nos possibilités ou nos choix, qu’on soit homme, femme ou transgenre. Le féminisme ne vise pas une personne en particulier, mais s’attaque aux normes sociales et aux structures qui permettent encore au sexisme d’exister. Le féminisme vise à s’attaquer aux discriminations vécues par les femmes en raison de leur genre, pas en créer pour les hommes.
15 Certains hommes disent se sentir exclus de ce mouvement, mais c’est souvent une mauvaise compréhension de ce qu’est le féminisme (voir question suivante). Il y a aussi une mauvaise compréhension de ce qu’ils ont à gagner en tant qu’homme à participer à ce mouvement. Le féminisme cherche à « déconstruire le genre ». En d’autres mots, on cherche à arrêter d’attribuer d’emblée des caractéristiques aux personnes selon leur genre : si tu es un homme, alors tu dois être fort et sportif; si tu es une femme, alors tu dois être douce et maternelle. Bref, l’objectif est que tout le monde puisse décider de son identité! Voici quelques exemples de ce que les hommes (et les femmes) ont à gagner du féminisme : Organiser notre conciliation travail-famille selon nos besoins et nos intérêts : par exemple, que l’homme reste à la maison pendant que la femme travaille (ou le contraire!). Se sentir à l’aise de demander une réduction des heures travaillées ou un congé pour passer du temps avec ses enfants, que l’on soit un homme ou une femme. Choisir notre métier sans peur de jugements ou de préjugés sur notre compétence : par exemple, une femme peut être électricienne et un homme éducateur en CPE (ou le contraire!). Se vêtir, se maquiller ou se coiffer comme on le souhaite sans se faire taxer de provocatrice ou de personne bizarre. Pouvoir exprimer nos émotions, peu importe notre genre : une femme peut être en colère sans être hystérique et un homme peut pleurer sans être faible. Depuis 2016, les pères peuvent bénéficier d’un congé de trois à cinq semaines qui leur est réservé après la naissance de leur enfant. Avant l’apparition de ce nouveau régime, seuls 28 % des pères prenaient un congé après l’arrivée d’un enfant. En 2017, on en comptait 83 %33. Et aujourd’hui, les milieux de travail acceptent généralement très bien que le père s’absente34. Au Québec, les parents peuvent également partager entre eux un congé de huit mois. Les pères sont de plus en plus nombreux à réclamer ce congé, en totalité ou en partie. Même si certains rencontrent encore des difficultés dans leur milieu de travail lorsqu’ils souhaitent s’absenter au-delà de cinq semaines35, ce gain qui vise l’égalité entre les femmes et les hommes profitent autant aux deux. Le congé parental au Québec : un gain pour les femmes et les hommes
JE n’aime pas le terme « Féminisme » Pourquoi on ne parle pas d’humanisme ou d’égalitarisme? 16 LA PREMIÈRE QUESTION À SE POSER EST POURQUOI LE MOT « FÉMINISME » CRÉE-T-IL CE MALAISE AU POINT DE VOULOIR À TOUT PRIX UTILISER UN AUTRE TERME? L’idée d’utiliser le mot « féminisme » vient du fait qu’il a une portée historique. Reconnaître ce mot, c’est reconnaître l’ensemble des réalisations qui ont été faites par le mouvement pour le droit des femmes et reconnaître aussi les progrès qu’il reste à accomplir. La même chose va avec le féminisme, donc. Si on veut s’attaquer aux inégalités de genre qui touchent les femmes, il faut les nommer! P.-S. Voici une délicieuse réplique tirée de la Gazette des femmes la prochaine fois que quelqu’un vous dira qu’on devrait changer le terme féminisme : « Moi aussi j’aime ça changer la définition des mots que je ne connais pas36. »
17 7 Pourquoi est-ce qu’on ne peut plus faire de compliments à une femme? Précisons d’emblée une chose : des compliments sincères, authentiques, gratuits, marqués par la bienveillance et le respect d’autrui sont toujours bienvenus. Des exemples : complimenter les décorations de Noël de son voisin ou le beau dessin d’un enfant. Dans la même veine : complimenter sa collègue pour sa présentation très intéressante et pertinente. Ça, c’est toujours bienvenu. Le problème? Les compliments adressés à une femme sont rarement de cet ordre. D’une part, ils ont souvent trait à l’apparence physique de la femme. Dans le milieu de travail en particulier, comme tout le monde, les femmes souhaitent être valorisées pour leurs compétences, pas leur apparence. D’autre part, ils sont rarement gratuits, mais viennent plutôt d’une volonté d’engager la conversation, la drague ou même plus... À cet effet, certaines femmes préfèrent tout simplement décliner le compliment plutôt que d’engager la conversation. Dans la rue ou dans le métro, par exemple, les femmes sont plus nombreuses à ne pas se sentir en sécurité. Engager la conversation avec un inconnu peut la mettre en situation de vulnérabilité. Ce mot-clic a fait le tour de la planète et nous a démontré de façon choquante la présence sous-estimée du viol et des actes non consentis dans les relations intimes. Et, dans son sillage, nous a rappelé que le consentement est une condition essentielle à toute relation... à toutes les étapes! En ce sens, si une femme accepte un compliment ou accepte d’engager la conversation, ça ne l’oblige à rien... ça ne l’oblige pas à aller prendre un verre avec son interlocuteur, à lui laisser son numéro ou à avoir des relations sexuelles. #MeToo
La petite histoire de... tarana burke #METOO EST UN MOUVEMENT CONNU MONDIALEMENT, MAIS PEU DE GENS SAVENT QUE C’EST TARANA BURKE, UNE AFRO-AMÉRICAINE, QUI L’A INSTIGUÉ. Frustrée par les violences dont étaient victimes les femmes de sa communauté, elle a écrit en 2006 sur un bout de papier : Me Too. Son objectif : bâtir un mouvement basé sur l’empathie entre les survivantes d’agressions sexuelles pour qu’ensemble, nous puissions guérir et envisager un monde où la violence ne définit plus notre identité. « Nous devons aux générations futures rien de moins qu’un monde sans violence sexuelle, dit-elle. Je crois que nous pouvons construire ce monde. » 18 #MeToo
19 Comment utiliser ton (ou tes privilèges) pour vaincre les inégalités Écouter : écouter pour vrai! Que ce soit si quelqu’un explique son point de vue ou dit que des paroles ou des blagues l’ont blessé, ne pas essayer pas de se justifier, mais tout simplement écouter pour mieux comprendre. S’informer : peu importe le sujet que vous voulez approfondir, des centaines de vidéos, de blogues, de livres (certains drôles, d’autres plus sérieux) existent sur les sujets du racisme, du sexisme, de l’homophobie ou de la grossophobie pour ne citer que ceux-ci. Demandez à vos proches de vous donner quelques suggestions. Sinon, vous connaissez ça, Internet? Laisser sa place : demander à une collègue son opinion dans une réunion, créditer son travail, l’inviter à coordonner un comité, soutenir sa candidature pour une promotion, lui proposer de présenter une idée que vous avez eue ensemble, poser des questions à quelqu’un pour laisser la personne parler dans un souper entre amis... il existe des milliers de façons de ne pas prendre toute la place. Accepter d’être inconfortable : se faire dire que nous avons des privilèges, ça peut être dérangeant. Savoir que, tout près de nous, certaines personnes souffrent de discriminations au quotidien, ça l’est encore plus. Mais ce n’est pas parce que l’expérience d’autres personnes nous rend inconfortables que nous devons rester les bras croisés, car si nous participons au problème, nous pouvons aussi participer à sa solution. Se remettre en question : nous vivons dans une société où règnent plusieurs préjugés et stéréotypes. Tout le monde a donc intériorisé certains stéréotypes et préjugés... c’est normal! Plutôt que de se dire « je ne suis pas raciste » ou « je suis pas sexiste, moi », il faut chercher à reconnaître les préjugés et les stéréotypes qu’on a intériorisés et remettre en question nos actions. pour CONCLURE Nous espérons sincèrement que ce guide vous aura été utile (et que votre souper de famille n’aura pas été trop pénible). Si vous avez la chance d’être tombé sur quelqu’un qui a trouvé vraiment intéressante votre conversation et qui cherche à être un.e allié.e, voici quelques trucs. Et ces trucs peuvent s’appliquer à n’importe quelle sphère où nous possédons des privilèges (oui oui, on a toutes et tous des privilèges : statut socio-économique, origine, genre, capacité physique, etc.).
20 UTiliser sa voix pour dénoncer : face au commentaire raciste d’un collègue ou à la blague misogyne d’une voisine, ne rien dire ou rire n’est pas une solution (même si c’est tellement plus simple). Exprimez votre désaccord lorsque des situations s’apparentant à du sexisme ou à du racisme surviennent (un supérieur qui ne veut pas engager une femme par crainte qu’elle soit toujours absente à cause de ses enfants ou parce qu’il craint que son voile dérange les autres collègues). Faire preuve de patience : ce n’est pas la livraison Amazon Prime... Être un.e allié.e, ça n’arrive pas en deux à trois jours ouvrables. C’est un travail de longue haleine qui exige qu’on s’informe, qu’on se remette en question au quotidien, qu’on soit mal à l’aise... Donnez-vous le temps d’y arriver! RÉFÉRENCES 1 Les femmes autochtones devront attendre 1969 avant de pouvoir voter. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1166908/droit-de-vote-premieres-nationsanniversaire 2 https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-004-m/75-004-m2019004-fra.htm 3 https://plus.lapresse.ca/screens/22c3573f-180a-4885-a25b-15b759d6537d__7C___0. html?utm_medium=Email&utm_campaign=Internal%20Share&utm_%20content=Screen& fbclid=IwAR3fDT4pj4jY9-J0wWfwS4wPCbB1WWH0-ghqbCKjVzSflbvG7fhATc7p4IM 4 https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/190507/dq190507a-fra.htm 5 https://www.ledevoir.com/documents/special/20-02_violence-conjugale-quebec/ index.html 6 https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2017001/article/54889-fra.htm 7 https://www.fmhf.ca/actualites/8-raisons-pour-lesquelles-on-encore-besoinfeminisme-quebec-en-2017 8 https://canadianwomen.org/fr/les-faits/pauvrete/ 9 https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-004-m/75-004-m2019004-fra.htm 10 https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-503-x/2015001/article/14694-fra.htm 11 https://www.oxfam.org/fr/decouvrir/domaines/justice-de-genre-et-droits-desfemmes 12 https://www.unfpa.org/sites/default/files/sowp/downloads/The_State_of_World_ Population_2016_-_French.pdf 13 https://www.worldbank.org/en/news/press-release/2019/02/27/despite-gainswomen-face-setbacks-in-legal-rights-affecting-work 14 https://www.un.org/sustainabledevelopment/gender-equality/ 15 https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/violence-against-women
21 16 https://www.unwomen.org/en/news/stories/2018/1/feature-economies-that-workfor-women-work-for-everyone 17 https://www.them.us/story/bell-hooks 18 https://cdn.iris-recherche.qc.ca/uploads/publication/file/E_quite__salariale_WEB_03. pdf 19 https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-004-m/75-004-m2019004-fra.htm 20 Conseil du statut de la femme (2016). L’égalité entre les sexes en milieu scolaire : https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis_egalite_entre_sexes_milieuscolaire.pdf 21 Conseil du statut de la femme (2016). L’égalité entre les sexes en milieu scolaire : https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis_egalite_entre_sexes_milieuscolaire.pdf 22 Cossette, Louise, Cerveau, sexe et hormones : des différences en question. 2012. p.38 23 Conseil du statut de la femme (2015). Les femmes en politique ; en route vers la parité : https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis_femmes_et_politique_web2.pdf 24 https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/avis_femmes_et_politique_web2.pdf 25 https://lactualite.com/societe/35-heroines-meconnues-du-quebec/ 26 Le statut du conseil de la femme (2018). Portrait des Québécoises : https://www.csf. gouv.qc.ca/wp-content/uploads/Por_portrait_quebecoises.pdf 27 https://www.oxfam.org/en/not-all-gaps-are-created-equal-true-value-care-work 28 https://www.theguardian.com/inequality/2018/feb/17/dirty-secret-why-houseworkgender-gap 29 Cossette p.40 30 https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/200929/dq200929e-fra.htm 31 Pour de nombreuses études à ce sujet, voir Cosette 32 Cosette p.15 33 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1010106/rqap-assurance-parentale-dix-ansperes-conge 34 https://www.erudit.org/fr/revues/crs/2017-n63-crs04254/1055719ar/ 35 https://www.erudit.org/fr/revues/crs/2017-n63-crs04254/1055719ar/ 36 https://gazettedesfemmes.ca/13412/15-mythes-15-repliques-pour-les-briser/
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